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HISTOIRES

« Nous voulons sensibiliser au changement climatique en donnant espoir, pas en faisant peur »

10 janvier 2023
« Nous voulons sensibiliser au changement climatique en donnant espoir, pas en faisant peur »

Entretien entre Nanette Braun, cheffe des campagnes de communication aux Nations Unies, et Alexandra Borchardt, principale autrice du rapport de l'UER sur le journalisme climatique

Nanette Braun dirige les campagnes de communication des Nations Unies. Depuis près de 30 ans, elle a gravi tous les échelons de l'organisation. Aujourd’hui, elle s’occupe de campagnes en lien avec de nombreuses priorités de l'ONU. Selon elle, le changement climatique est désormais une préoccupation majeure de l’organisation.

Quelle importance revêt le changement climatique pour les Nations Unies ?

Le changement climatique est une priorité existentielle. Il détermine l'avenir de l'humanité. C'est une crise qui touche tout le monde, partout. Nous savons déjà que pour limiter la hausse de la température planétaire à 1,5 degré et éviter des conséquences dramatiques, nous devons réduire les émissions de carbone de 50 % d'ici à 2030 et atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. Malheureusement, nous en sommes encore loin, alors que nous devons saisir cette occasion d’agir.

Les médias savent-ils rendre compte des enjeux cruciaux soulevés par le changement climatique ?

Les médias sont de mieux en mieux informés, ils savent aussi appréhender plus efficacement tous les aspects complexes de ces enjeux. D’excellents reportages sont réalisés sur le climat et le public comprend globalement mieux la question du changement climatique. L’on peut cependant se demander si la compréhension du public s'améliore parce que la couverture est elle-même meilleure, ou si celle-ci est meilleure parce que le public s'y intéresse davantage. Quoi qu’il en soit, il s'agit d'une évolution positive, mais il reste beaucoup à faire. C'est en tout cas un sujet à ne pas négliger. Il doit figurer en tête des priorités des journalistes et de leurs rédactions.

Votre regard est donc plutôt positif. De nombreux organismes de médias se montrent en revanche beaucoup plus critiques envers leur propre couverture de ces enjeux.

Je parle de la situation actuelle, et non d'il y a cinq ou même plus de 40 ans, lorsque l'occasion s'est déjà présentée de faire de ce sujet une priorité absolue. L'administration Carter, par exemple, a publié un rapport à la fin des années 70 qui est devenu une sorte de best-seller en Allemagne. Je me souviens en avoir fait une présentation au lycée, je devais avoir 14 ans à l'époque. Les prévisions étaient déjà claires comme de l’eau de roche. Nous avons perdu beaucoup de temps. Aujourd'hui, il est impossible de nier que le changement climatique suit son cours et que tous les pays en ressentent les effets. Les jeunes sont très inquiets, à juste titre, car leur avenir est gravement menacé. Ce sont là autant d’éléments qui ont renforcé l’intérêt du public pour le changement climatique, parallèlement au progrès des connaissances scientifiques.

À la lumière de la couverture que font les médias du changement climatique, les rédactions savent-elles bien appréhender cette problématique, selon vous ?

Dans ce domaine, les connaissances se sont sans nul doute développées. Dans le même temps, nous assistons malheureusement à l’essor de la désinformation et des fake news. Il existe toujours des « négationnistes climatiques », même si l’on est passé d'un déni total à des informations trompeuses qui ont tendance à minimiser l'urgence de la crise climatique. Les médias de service public assument donc une responsabilité très importante, qui découle de la mission qui leur est dévolue, pour contrer les fausses informations et diffuser un argumentaire fondé sur des faits scientifiques.

Les médias de service public semblent toujours avoir du mal à répondre aux accusations de parti pris, s'ils abordent trop ouvertement certains sujets.

La présentation de points de vue différents est indissociable de la pratique d’un journalisme équilibré. Mais dans le cas du changement climatique, la science ne laisse aucune place aux approximations. Il est donc primordial que les médias utilisent pour leurs reportages des données indiscutables, non seulement en ce qui concerne les causes et les conséquences du changement climatique, mais aussi l’urgence d'agir dès à présent pour un avenir sans carbone. Car il ne fait plus aucun doute que le changement climatique est dû à l'activité humaine.

Ces enjeux ont une dimension anxiogène, qui peut décourager le public de s’y intéresser. Que conseillez-vous à cet égard ?

Le changement climatique suscite en effet beaucoup d'anxiété, qui peut entraîner un évitement de l’information. L’on se sent submergé.e par des nouvelles déprimantes. C'est pourquoi il est important de montrer que des solutions existent : les technologies évoluent rapidement et la transition vers les énergies renouvelables est tout à fait envisageable. Offrir des solutions entretient l'intérêt pour les enjeux liés au changement climatique. Ce n’est pas en faisant peur aux gens que nous les sensibiliserons au changement climatique, mais en leur montrant que des solutions existent. Nous voulons leur faire comprendre que chacun.e peut apporter sa contribution. Le changement climatique peut être abordé sous de nombreux angles : la production et la consommation de nourriture, par exemple, ont un impact important sur le climat, comme les voyages ou la mode.

En tant qu'organisation internationale, observez-vous des différences régionales en matière de couverture médiatique ?

De toute évidence, les choses sont différentes au nord et au sud de la planète, notamment en ce qui concerne les conséquences du changement climatique. Les pays du G20 produisent 80 % des émissions de gaz à effet de serre qui sont à l'origine du changement climatique. En revanche, les 55 pays d'Afrique ne représentent que trois ou quatre pour cent des émissions, mais ils sont particulièrement touchés. Ce constat a enfin été dressé lors de la COP27, avec un accord décisif sur la création d'un fonds destiné à aider les pays en développement à faire face aux effets du changement climatique.

Certains organismes de médias disposent de moyens plus importants que d'autres. Il est dès lors plus facile pour eux de réaliser des reportages mieux étayés, basés sur des travaux probants et des faits vérifiés. Les médias peuvent par exemple encourager la collaboration, car les grandes organisations sont en mesure de soutenir les médias qui manquent de moyens. Covering Climate Now, par exemple, est une initiative qui propose des ressources et des opportunités de collaboration. Quant à SDG Media Compact, alliance mondiale dont l'UER est membre, elle encourage la réalisation de reportages sur nos priorités en matière de développement durable.     

Quelle est l’étape à suivre pour les médias ?

Leurs reportages doivent mettre l’accent sur les solutions. La lutte contre le changement climatique implique une transformation de notre mode de vie, transformation à laquelle le public s’intéresse de plus en plus. Des solutions techniques apparaissent. Le prix des énergies renouvelables a considérablement baissé, ce qui est une incroyable réussite. Il n'y a pas d'alternative à une transition énergétique écologique et équitable.

Les médias ont également un rôle important à jouer en matière de responsabilisation. L'écoblanchiment, par exemple, est devenu un problème très répandu. Il est pourtant essentiel de déterminer dans quelle mesure les promesses faites ont été tenues.

Avec la guerre en Europe, le journalisme climatique sera-t-il menacé ?

C'est le grand défi du moment. Nous devons appeler les médias à ne pas se laisser distraire et à ne pas négliger le changement climatique.

Certains organismes de médias apportent une très grande attention aux mots qu’ils utilisent pour parler du changement climatique. Jugez-vous cet aspect important ?

Je pense que le plus important est que votre public comprenne le sujet. Évitez le jargon. Par exemple, est-ce que tout le monde comprend les concepts de « zéro émission nette » ou de « carboneutre » ?  Les mots que vous utilisez doivent rester compréhensibles pour des néophytes.

Qu'en est-il du langage visuel ?

Les médias doivent dépeindre la situation telle qu'elle est. Le changement climatique est une urgence. L'important est d'équilibrer cet impératif avec des images qui montrent la voie à suivre. Je le répète, il est inutile d’alimenter l'anxiété climatique et l'évitement des nouvelles. Les médias ne pourront conserver leur pertinence que si le public continue à les suivre.

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Jo Waters

Responsable de la communication de contenu

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