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Entretien avec Hovhannes Movsisyan, directeur général de la Télévision publique arménienne

21 mars 2023
Entretien avec Hovhannes Movsisyan, directeur général de la Télévision publique arménienne

Hovhannes Movsisyan, directeur général de la Télévision publique arménienne (AMPTV), a répondu aux question de Radka Betcheva, responsable des Relations avec les Membres pour l'Europe centrale et orientale.

Vous êtes le plus jeune dirigeant parmi les Membres de l'UER. Quels sont les avantages et les inconvénients de votre âge ?

J'avais 28 ans lorsque j'ai été élu à la tête de la Télévision publique arménienne, il y a deux ans. Je pense que mon âge présente à la fois des avantages et des inconvénients : tout en aspirant à innover, j'ai la responsabilité de diriger une institution vieille de 67 ans qui emploie 800 personnes, dont l'âge moyen se situe entre 30 et 40 ans. Elle possède ses propres traditions, qui doivent être respectées, mais elles doivent aussi pouvoir intégrer le changement, ce qui n’est pas toujours chose aisée. Il est très important pour moi d’allier expérience et nouveauté.

L'AMPTV possède-t-elle les moyens financiers et le personnel nécessaires pour stimuler l'innovation ?

Il est en effet difficile de financer nos efforts d’innovation sur un budget qui reste inchangé d’une année sur l’autre et qui doit donner la priorité au contenu. Mais nous avons d’ores et déjà lancé un certain nombre d'initiatives dans ce domaine. Je sais aussi que je peux compter sur un personnel très motivé et créatif. Mais bien sûr, nous essayons d’obtenir des fonds supplémentaires et les deux dernières années ont montré que nous pouvions y parvenir.

Compte tenu de vos ressources limitées, de quoi avez-vous été le plus fier au cours des deux dernières années ?

Beaucoup de choses me viennent à l’esprit. Notre priorité est d'être plus compétitifs et d'accroître notre audience et pour atteindre ces objectifs, nous avons lancé un certain nombre de projets.

L'un d’entre eux consiste à segmenter le contenu. Dans cette optique, nous avons lancé il y a 18 mois une chaîne d'information en continu qui enregistre déjà des chiffres d'audience élevés. Elle a vocation à compléter notre chaîne principale, 1st Channel, ainsi que notre chaîne satellite qui cible la diaspora arménienne.

Nous travaillons également au développement et au financement d'archives et de chaînes jeunesse et sportives. Notre priorité est de former l'équipe qui sera chargée de gérer notre chaîne destinée au jeune public. Nous prévoyons de commencer au printemps et de baptiser l'offre New Wave, les 14-30 ans étant notre cible principale. Nous voulons produire des sujets et des formats qui reflètent le comportement des jeunes sur les médias sociaux. Cette nouvelle approche pourrait certes poser problème aux segments plus âgés de notre audience, mais nous sommes convaincus que nous saurons relever ce défi.

Où se situe votre organisme en termes d’audience ?

Notre chaîne principale se classe désormais au deuxième rang et même parfois au premier, alors qu'elle était cinquième lorsque j'ai rejoint l’AMPTV. Nos principales concurrentes sont les fictions arméniennes, très populaires dans notre pays et qui sont proposées principalement par les médias commerciaux. En ce qui nous concerne, nous produisons une ou deux séries par saison, contre presque dix pour nos concurrents commerciaux, ce qui ne nous facilite pas la tâche.

Notre chaîne d'info se classe généralement entre le sixième et le septième rangs, ce qui est satisfaisant compte tenu de l’environnement fortement concurrentiel dans lequel elle évolue (environ 25 chaînes, dont la majorité sont arméniennes).

Que fait l’AMPTV pour attirer les jeunes talents ?

Nous avons pris des initiatives audacieuses pour relever ce défi. Ainsi donc, nous avons lancé il y a deux ans l’Académie des médias, qui est notre principal moyen de recruter de jeunes collaborateurs. Nous comptons déjà plus de 200 anciens élèves, dont 40 travaillent à l’AMPTV. C’est enthousiasmant  de voir ces jeunes, qui sont souvent très motivés, travailler pour la télévision publique.  Ce que je veux, c’est leur offrir un environnement qui leur permette de créer la télévision de demain. Nous leur demandons ce qu'ils aiment regarder et comment ils voient la télévision du futur. Nous avons aussi à cœur de les faire évoluer dans un environnement où ils pourront laisser libre cours à leurs idées.

Comment voyez-vous le rôle des médias de service public face à la désinformation ?

C'est un problème qui se pose ici comme partout, l'Internet étant le principal défi.

On peut essayer différentes tactiques, agressives ou positives. Nous avons choisi la voie positive. Il y a deux ans, nous avons lancé un programme télévisé sur l'éducation aux médias. En Arménie, il ne suffit pas qu'un programme parle de désinformation, les gens ont besoin de croire en quelqu’un. Nous avons donc choisi un animateur connu dans notre pays. Sa pastille, qui dure environ cinq minutes, est programmée deux ou trois fois par jour, et pas seulement sur notre chaîne principale. Nous la diffusons également sur notre chaîne d'info et sur notre chaîne satellite destinée à la diaspora, qui suit de près l’actualité arménienne.

Lorsque nous avons lancé le programme, la désinformation faisait des ravages en Arménie. Or ce programme a trouvé son public rapidement, en l'espace d'un mois seulement. Ce succès nous a surpris, car il n'est pas facile de faire comprendre ce qu'est l'éducation aux médias. Nous mettons aussi en évidence les nombreux ressorts de la manipulation, nous expliquons comment les ressources sont utilisées, parfois nous répondons simplement aux questions. Une recette qui jusqu’à présent, porte ses fruits !

Quelle est la fiabilité des enquêtes sur la confiance et la réputation des médias en Arménie ?

Il est très difficile de s’y fier. Nous nous tournons vers des organismes tels que l’International Republican Institute, qui réalise des enquêtes dans le champ sociopolitique. D'après ses recherches, la Télévision publique arménienne est jugée la plus digne de confiance et la plus fiable en Arménie, non seulement par rapport à d'autres chaînes de télévision, mais aussi par rapport à d'autres médias. Nous en sommes très fiers et nous nous efforçons de préserver ce capital confiance !

Disposez-vous d'un vaste réseau de correspondants ?

Nous avons de nombreux correspondants à l'étranger, qui nous aident à fournir des contenus de qualité.

Rencontrez-vous des difficultés de financement ?

Selon la loi sur les médias de service public, notre budget ne peut pas être inférieur à celui de l'année précédente, ce qui est un gage de stabilité. Lorsque certains de nos projets exigent des fonds supplémentaires, nous plaidons notre cause. Sur les dix projets que nous avons présentés, nous avons réussi à obtenir un financement pour neuf d'entre eux, comme le Concours Eurovision de la Chanson Junior, qui nécessitait un budget important !

Aujourd'hui, nous sommes en train de numériser notre premier studio. Nous avons investi près de 3 millions d'euros, dont environ 700 000 étaient pris en charge par le gouvernement.

En décembre dernier, le Concours Eurovision de la Chanson Junior a remporté un franc succès. Comment l’expliquez-vous ?

Je me souviens du jour où nous avons remporté l’édition 2021, à Paris. L'un de mes collègues en a cassé un verre de joie ! C'était un grand jour pour nous et pour toute l'Arménie, car l’émission est très suivie dans notre pays, qui traversait alors une période difficile. Nous avons entamé les préparatifs dès le lendemain de notre victoire, ne serait-ce que pour montrer que nous étions prêts pour l’Eurovision Junior 2022 et que nous ferions de notre mieux pour produire une émission mémorable. C'était quelque chose de nouveau pour nous, d’autant plus que la direction avait pris ses fonctions à peine un an auparavant.

Nous avons commencé à étudier et à apprendre, non seulement de l’Eurovision Junior, mais aussi du Concours Eurovision de la Chanson. Nous avons voulu comprendre comment les deux shows fonctionnent et comment ils ont été organisés, tout en ayant à cœur de créer une version arménienne du CEC, sans chercher à imiter ce qui avait été fait par le passé.

Dès le premier jour, nous avons collaboré activement avec l'équipe du Concours et recruté des professionnels, aussi bien au niveau local qu’international. C'était l'occasion de montrer ce que l’Arménie est capable accomplir !

Avec le show que nous avons produit, nous avons encore repoussé nos limites. Nombreux sont les Arméniens à en parler encore aujourd’hui, ce qui revêt pour une nous une grande importance. Ils étaient fiers de voir un tel événement d’envergure internationale être organisé dans leur pays. Il n'y a eu aucun commentaire négatif, pas même sur le budget. La population a été interrogée : l'Arménie avait-elle besoin de dépenser autant pour l’Eurovision Junior ?  La réponse est oui. Il s'agissait d'un show exceptionnel, organisé à Erevan, qui offrait de surcroît l’occasion d’accueillir un public venu de l’Europe entière. Nous devions impérativement être à la hauteur de l’événement ! Le public s'est rassemblé pour la cérémonie d'ouverture pour voir les artistes et admirer les lumières du sapin de Noël traditionnellement installé à Erevan. C'était un grand jour pour nous et je suis vraiment fier de ce que nous avons accompli.

Arrivez-vous à déléguer une partie de vos responsabilités ? Avez-vous une structure pyramidale ?

J'ai modifié notre structure à quatre ou cinq reprises !

Le principal problème, comme partout ailleurs, est que nous devons pouvoir compter sur des personnes qui sachent prendre des décisions et assumer la responsabilité de ces décisions. Il est très difficile, pour certains managers ou pour certains employés, de faire la part des choses entre ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. Il est encore plus difficile de prendre une décision et d'en assumer la responsabilité que de demander à un supérieur de le faire. C’est une difficulté à laquelle nous sommes confrontés, mais nous nous efforçons d’évoluer.

Je dis toujours que je ne suis qu'un individu parmi d’autres, que nous sommes environ 800 dans cette organisation et que tout le monde doit être capable de prendre des décisions et d'assumer des responsabilités. Je sais que c'est difficile, mais nous devons y parvenir. C'est pourquoi je m'appuie sur notre direction générale, tandis que celle-ci s'appuie sur ses managers, et que les managers s'appuient sur leurs employés, etc. Dans chaque cercle, il y a des rôles et des responsabilités pour chacun et tout doit pouvoir se dérouler sans accroc. Seul, il est difficile de faire ce qu’il convient. Pour moi, c’est ainsi que se dirige une entreprise de cette taille.

Combien de subordonnés directs avez-vous ?

J'en ai 12, contre 15 auparavant. Et peut-être que d'autres changements seront nécessaires. Vous pouvez concevoir la meilleure structure pour votre entreprise sur le papier, mais elle ne fonctionnera pas toujours dans la pratique. Je n’hésite donc pas à faire des changements. C'est peut-être ce qui me définit le mieux : j'aime le changement. Lorsque je vois quelque chose qui fonctionne dans la pratique, j'en évalue l’efficacité. J'identifie les problèmes et s'ils proviennent de la structure, je la modifie.

Avez-vous aussi infléchi votre stratégie ?

J'ai été élu pour cinq ans et mon plan stratégique couvre donc les cinq années de mon mandat. Les programmes que nous avons évoqués précédemment, les innovations, la télévision segmentée, sont autant d’initiatives qui s’inscrivent dans cette stratégie. Deux ans et trois mois se sont écoulés depuis que nous l’avons définie. Nous la passons régulièrement en revue, car elle n’est pas gravée dans le marbre. Nous l'adaptons dès que cela s’avère nécessaire, pour aller de l’avant.

Quelles sont vos priorités aujourd'hui ?

J'ai mentionné la télévision segmentée et notre chaîne jeunesse, mais nous avons également une autre priorité, celle de stimuler l'industrie cinématographique arménienne. Il s'agit d'une priorité non seulement pour la télévision publique, mais aussi pour l'ensemble du pays.

L’AMPTV doit apporter sa contribution à ce processus, car elle dispose du budget le plus élevé alloué à un média en Arménie.

Bien sûr, nous sommes confrontés à de multiples défis. Cette année, nous célébrons les 100 ans du cinéma arménien. La plupart de ces films datent de l'époque soviétique. Lorsque l'Arménie est devenue indépendante, nous n'avions pas de budget à allouer au cinéma, comme dans les États post-soviétiques. Aujourd'hui, nous essayons de développer notre industrie cinématographique et de promouvoir la production arménienne au niveau international.

Quelle regard portez-vous sur les coproductions ?

Je pense que le jeu en vaut la chandelle ! Nous accueillons toujours positivement les opportunités de coproduction. Nous sommes par exemple en train d’étudier la possibilité de réaliser une émission musicale en coopération avec la Société géorgienne de Radio-Télévision. Et plus généralement, je pense que nous avons tout à gagner à nous intéresser davantage aux coproductions, car les contenus de qualité sont une denrée rare et très convoitée. Dans ce domaine, nous pouvons apprendre les uns des autres et nous entraider.

Comment voyez-vous les médias de service public dans dix ans ?

Nous devons planifier et préparer dès maintenant ce que nous serons dans dix ou même cinquante ans. Notre situation future dépendra également de notre capacité à nous adapter aux évolutions technologiques qui bouleversent notre secteur, comme l'IA par exemple. Sur certains marchés, les présentateurs sont déjà des hologrammes. Peut-être qu'un jour c’est une IA qui nous dirigera. Et peut-être que vous et moi n'aurons plus rien à faire !

Comment voyez-vous le rôle de l'UER ?

C’est une organisation formidable qui permet aux professionnels de l’audiovisuel public de se rencontrer et d’aborder les grands enjeux du moment, dans un cadre propice aux échanges. Il n'existe aucune autre organisation au sein de laquelle nous, médias de service public, pouvons rencontrer nos homologues et aborder des sujets d'intérêt commun. J’aime voir ce que font les autres et je veux continuer à partager et à échanger avec eux.

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Contact


Radka Betcheva

Responsable des relations avec les Membres - Europe centrale et orientale

betcheva@ebu.ch