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HISTOIRES

« Nous devons concevoir des contenus pour les personnes pour lesquelles nous ne créons pas de contenu »

07 février 2023
« Nous devons concevoir des contenus pour les personnes pour lesquelles nous ne créons pas de contenu »

Interview de Matt Winning par Alexandra Borchardt et Katherine Dunn, co-autrices du News Report 2023 de l’UER (Climate Journalism that works – Between Knowledge and Impact)

Matt Winning est humoriste de stand-up, mais aussi économiste de l'environnement titulaire d'un doctorat en politique du changement climatique. Il intervient régulièrement sur BBC Radio 4, où il anime l'émission Net Zero : A Very British Problem, ainsi que le podcast Operation Earth. Son dernier ouvrage s’intitule Hot Mess - What on Earth Can We Do About Climate Change.

Pouvez-vous nous raconter une blague sur le changement climatique ?

Si nous ne réduisons pas rapidement nos émissions de CO2, notre futur ressemblera au film Waterworld. Terrible.

Qu'est-ce qui est venu en premier : votre passion pour la comédie ou vos recherches sur le changement climatique ?

Je travaille sur les questions de changement climatique depuis 2008. J’y suis venu un peu par hasard. À l'époque, je travaillais dans une banque d'investissement, mais je m’y ennuyais. C'est alors qu'on m'a proposé de faire un doctorat. Aucun membre de ma famille n’a fait d’études universitaires, mais le sujet m'intéressait. Cela fait aujourd’hui 10 ans que je suis chercheur à l'University College de Londres et que je m'intéresse aux moyens d’atténuer les effets du changement climatique. Mais j’ai aussi entamé une autre carrière, presque en même temps. Il y a treize ans, j'ai commencé à faire de la comédie. C’était d'abord un hobby, pour lequel j’ai ensuite commencé à être rémunéré, puis à être de mieux en mieux rémunéré. Je menais donc deux carrières en parallèle. Puis tout a changé de nouveau en 2017, lorsque j'ai commencé à faire des sketches sur le changement climatique. À l'époque, on en parlait encore relativement peu.

Vous souvenez-vous du moment précis où vous avez décidé de sauter le pas ?

Tout s’est fait un peu par hasard. J'avais vu des sketches sur la science, mais je ne les trouvais pas très réussis. Je m’y suis mis pas à pas, en intégrant cette thématique à mon spectacle par petites touches. J’ai alors essuyé de très mauvaises critiques ! C’est alors que j'ai décidé de faire complètement l’inverse et en un an, j'ai écrit un spectacle complet d'une heure.

Combien de temps cela vous a-t-il pris ?

C'était un gros risque et il m'a fallu environ six mois d'essais et d'échecs pour trouver suffisamment de punchlines. Puis tout s'est mis en place peu à peu. Je sentais que je tenais quelque chose. Puis j’ai donné ce spectacle au Festival Fringe d'Edimbourg et étonnamment, tout s'est très bien passé.

Comment travaillez-vous sur le changement climatique ? Écrivez-vous à votre bureau ? Testez-vous vos blagues sur vos proches ?

Je fais un peu de tout. Je m'assois dans un café et j'essaie d'écrire des blagues. Je passe sur de petites scènes, avec des blagues plus ou moins déjà testées. Je discute avec des ami.e.s. C'est un processus très itératif. Je teste deux ou trois blagues, puis je garde les plus drôles. Concernant le climat, c'est presque comme si j'écrivais une conférence, puis j’y intègre des blagues, j'essaie d'améliorer la chute. Mais certains sujets s’avèrent compliqués.

Lesquels par exemple ?

J'ai fait une ou deux blagues sur la taxe carbone, mais il est délicat de parler d'instruments financiers, qui font difficilement écho à la vie quotidienne des gens. Je préfère les sujets auxquels les gens peuvent s'identifier, l'élévation du niveau de la mer, par exemple, ou les transports. Souvent, pour parler de sujets plus compliqués, il faut passer du temps à les expliquer. On peut les évoquer plus tard dans l'émission, mais il faut susciter l’intérêt du public dès le début. Une fois que vous avez gagné sa confiance, vous pouvez aborder des sujets plus complexes. Plus vous avez du temps, plus les gens sont prêts à s’intéresser à des sujets compliqués.

Cela ressemble à la vie réelle. Avez-vous vécu une expérience sur scène qui vous a particulièrement impressionné ?

Certains moments peuvent être très enthousiasmants. Sur scène, je montre des diapositives, dont l'une concerne le changement climatique. Je montre six planètes et deux mondes différents, en expliquant différents scénarios. Dans l’un d’eux, le monde devient rouge. C'est là que je peux m’amuser, faire rire, en jouant avec les perceptions des gens, en passant de l'image d'une personne lambda à celle d'un universitaire qui sait tout. Ce qui marche toujours bien, c'est de parler de l'avion. Certaines personnes en ont peur. Alors, je dis : « Il faudrait que plus de gens aient peur de l'avion. Installons des planchers en verre dans les avions, montrons des films sur des crashs d'avions à bord !

Y a-t-il des lignes rouges ? Les accidents d'avion ne font pas forcément rire tout le monde.

La règle est la suivante : il faut frapper haut. Une blague doit cibler les personnes qui ont un statut privilégié par rapport à la plupart des autres. J'essaie de ne jamais me moquer des personnes qui sont touchées par le changement climatique. Ce n'est pas ce que je veux. Les gens comprennent que c'est mon travail. Mon intention n’est pas de minimiser la gravité de la situation. Je parle des répercussions des épisodes caniculaires, par exemple, de leur gravité, mais aussi de conséquences plus inattendues, comme le fait que les frites sont plus petites à cause de la sécheresse, et que je ne veux pas que mes enfants vivent dans un monde où les frites sont petites, etc. Je m’autorise aussi, de temps en temps, des blagues grossières sur le changement climatique, par exemple : « Vous n'imaginez pas le nombre de Britanniques qui prennent l'avion pour aller faire l'amour avec un ou une autre Britannique. Pourquoi ces personnes ne restent-elles pas chez elles ? »

Que pensez-vous du journalisme climatique ?

Il repose souvent sur d’excellentes données, mais les titres sont atroces, par exemple : « Il nous reste 12 ans pour sauver le monde ». Mais je sais que ce n'est pas vrai, je ne lis pas ces articles. Les contenus complexes ne peuvent pas tenir sur un T-shirt. En revanche, je peux m’inspirer de bons reportages de journalisme climatique pour mes spectacles. Les journalistes m’ont en quelque déjà mâché le travail, je n’ai plus qu’à ajouter ma touche d’humour ! J'ai beaucoup de respect pour le journalisme climatique, bien qu’il ne doit pas toujours suffisamment sérieux. Il pâtit selon moi d’un manque de réflexion commune à tous les sujets. Il faudrait que je journalisme évite les étiquettes. Ce que j'aimerais voir davantage, c'est une réflexion plus critique sur la nature systémique du changement climatique, qui ne touche pas uniquement certaines personnes, dans certains pays, mais tout le monde, dans tous les pays.

Le monde universitaire réussit-il à communiquer efficacement sur le changement climatique ?

C'est tout le contraire. Un travail énorme est fourni, mais peu d’efforts sont déployés pour le mettre en lumière. Le monde universitaire produit des connaissances qui profitent à toutes et tous, comme le journalisme. La différence tient à ceci : le journalisme privilégie la communication, mais consacre trop peu de temps aux recherches. Pour le monde universitaire, c’est tout l'inverse. Or, il faudrait justement que les journalistes travaillent plus étroitement avec les universitaires, ou que les universitaires soient formé.e.s à mieux communiquer.

Les organismes de médias se battent contre le phénomène de « l’évitement de l’information ». À votre avis, qu'est-ce qui pousse le public à écouter votre émission ou à assister à vos spectacles, où vous n’hésitez pas à donner de mauvaises nouvelles ?

Il est parfois difficile de faire venir le public dans les salles de spectacle, mais le plus souvent, les personnes qui franchissent le pas sont agréablement surprises. Mon objectif est d'élargir le débat. Des gens de tous horizons participent à mon émission. Les pires sont ceux qui travaillent pour des organisations de défense de l’environnement ; ils se contentent de regarder les graphiques et n'écoutent pas les blagues. Si vous avez des opinions très arrêtées sur le changement climatique, mon émission n'est pas faite pour vous. Ce que je veux, c’est communiquer avec le grand nombre de personnes qui n’ont pas forcément d’idée précise, les faire participer. Mon livre, par exemple, pourrait être offert à votre frère qui s'intéresse au changement climatique, mais qui ne lirait jamais un ouvrage « sérieux » sur le sujet. Nous devons concevoir des contenus pour les personnes pour lesquelles nous ne créons pas de contenu 

Comment abordez-vous cet enjeu ?

Les gens n'aiment pas qu'on les rabaisse. Dans une salle de spectacle, les gens peuvent ressentir une certaine pression de la part des autres membres du public, ils ne veulent pas être les seuls à ne pas rire. Il m’est arrivé, pour certains spectacles, d’être contacté après coup par des personnes qui y avaient assisté et qui m'ont avoué que leur famille ne prend plus l'avion, ou qu'elles avaient vendu leur voiture. Un couple m’a dit avoir changé de fournisseur d'électricité après avoir vu mon spectacle. Il y a un impact. Je ne dis pas que je vais sauver la planète à moi tout seul. Les gens sont des adultes, tout ce que je peux faire, c'est les informer correctement et les laisser prendre leurs propres décisions.

Vous arrive-t-il de faire un flop ?

Il m’est arrivé de plaisanter sur la compensation carbone. J'ai demandé : « Comment compenser le fait d'avoir un bébé ? » Une idée stupide, mais c'est souvent ce que pensent les gens. J'ai poussé l'idée à l'extrême et j'ai calculé le nombre de chiens que je devrais tuer chaque année pour compenser une naissance. Certains membres du public étaient assez choqués de me voir mimer le meurtre de chiens fictifs. Il n’est pas rares que des personnes m’attendent à la fin de mes spectacles, pour me poser des questions. Une personne m’a ainsi demandé : « Combien de chiens puis-je avoir si je n'ai pas d'enfants ? ». Cela prouve à quel point la question de la compensation carbone est difficile à appréhender.

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Jo Waters

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