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Entretien avec Milen Mitev, Directeur général de la Radio nationale bulgare

30 novembre 2022
Entretien avec Milen Mitev, Directeur général de la Radio nationale bulgare

Milen Mitev, Directeur général de la Radio nationale bulgare (BNR), se penche sur l’évolution de la radio de service public avec Radka Betcheva, Responsable à l’UER des relations avec les Membres des pays d’Europe centrale et orientale.

Vous avez pris la barre de la BNR en août 2021 et entrepris en priorité une transformation numérique incluant un examen de la transformation numérique de l’UER. Quels sont les défis les plus importants de ce processus ?

La BNR doit faire face à deux types de défis. Ceux dont nous ne pouvons pas influencer le résultat, comme le financement, la pandémie, la pression géopolitique, et ceux dont nous pouvons activement influencer le résultat. Nous suivons le premier type de défi et informons les gens sur l’influence que les événements peuvent avoir sur nous en tant que médias de service public, afin qu’ils comprennent l’impact sur notre organisation.

Quant aux défis sur lesquels nous pouvons exercer une influence, il nous appartient, par exemple, de créer un environnement de travail dynamique. Je veux que la BHR soit un lieu de travail moderne et sûr. Les journalistes et les professionnels des médias doivent pouvoir commettre des erreurs tout en se sentant en sécurité. Si les gens craignent de se tromper, ils seront réticents à proposer de nouvelles idées et de nouveaux formats. Les idées et la créativité doivent être bien accueillies. Les erreurs doivent donner lieu à une discussion et à une analyse plutôt qu’à des reproches adressés à leurs auteurs pour s’être trompés. Naturellement, nous fixons des limites. Si quelqu’un tient en direct des propos manifestement erronés ou non professionnels, c’est une autre histoire.

Comment la BHR défend-elle son indépendance éditoriale ?

Nous avons défini des processus internes, de telle sorte que la direction ne peut pas directement influencer les contenus. Les contenus sont créés par les journalistes et les éditeurs de chaque programme. Si un sujet controversé surgit, il est examiné par le conseil de rédaction. Il est donc difficile pour quiconque de prendre une décision unilatérale. En ce qui concerne l’influence extérieure, il m’appartient et il appartient au conseil de direction de résister à toute forme de pression. Par chance, depuis que j’ai pris mes fonctions, je n’ai pas eu à gérer de cas d’interférence inappropriée.

Votre public fait-il confiance à la BNR ?

Selon l’Institut Reuters, la BNR est le média bénéficiant de la plus grande confiance en Bulgarie, et la BNT nous suit de près. Nous faisons de notre mieux pour conserver ce niveau de confiance élevé, en laissant aux journalistes suffisamment de liberté pour choisir leurs thématiques, leurs invités et la façon dont ils structurent leurs émissions pour offrir ce qu’il y a de mieux aux publics.

La guerre en Europe, l’instabilité politique et le Covid divisent les sociétés. Quels enseignements les médias de service public en ont-ils tiré jusqu’à présent ?

Nos sociétés sont de plus en plus divisées. Le Covid a révélé ces divisions et la guerre les approfondit. Un fossé se creuse entre les différentes opinions et de plus en plus de gens adoptent des positions radicales sur des sujets extrêmement controversés. Je pense qu’en tant que médias de service public, nous devons montrer différents points de vue et encourager un débat éclairé. Je suis convaincu que le seul moyen de réduire le fossé est d’amener les gens à dialoguer. Tant de gens aujourd’hui consomment des actualités en ligne ou par le biais des réseaux sociaux, ce qui signifie qu’elles sont filtrées par des algorithmes. Cela signifie également que les gens lisent surtout ce qui leur plaît et ce qui les conforte dans leurs propres opinions. Les médias de service public ont un grand rôle à jouer pour encourager un dialogue démocratique entre les personnes ayant des opinions différentes. Parallèlement, nous devons promouvoir la cohésion, en recherchant les points qui nous unissent plutôt que ceux qui nous divisent. Il est important, aujourd’hui plus que jamais, d’adopter cette démarche.

Quels sont, selon vous, les programmes sur lesquels les médias de service public devraient se concentrer ?

En tant que médias de service public, nous ne pouvons pas nous concentrer sur un seul sujet ou groupe de sujets. Nous devons être partout, prendre le pouls de la société, non seulement à travers les informations, mais également en fournissant des analyses de qualité sur de grandes thématiques. Cette attitude pourrait passer pour un manque de focalisation, mais je peux reformuler les choses ainsi : nous ne mettons pas l’accent sur un contenu en particulier, mais nous nous efforçons de proposer des contenus de qualité sur tous les sujets que nous traitons. Notre but est de produire des actualités, des émissions, de la musique de qualité. Mesurer la qualité des médias de service public n’est pas chose aisée. C’est pourquoi je pense que mesurer la confiance est le meilleur moyen de savoir si nous produisons de la qualité. Tant que les publics nous font confiance, nous sommes sur la bonne voie.

Comment assurez-vous la pertinence de vos contenus ?

Nous dialoguons activement avec nos auditeurs, nous sollicitons des commentaires par le biais du plus grand nombre de canaux possible. L’un des moyens est, naturellement, la traditionnelle mesure d’audience. Nous dialoguons également par le biais des réseaux sociaux et de notre site Web, où nous avons beaucoup plus de contacts directs avec le public. Et, bien sûr, nous avons toujours des émissions de radio auxquelles le public participe directement.

Comment attirez-vous les publics jeunes ?

Nous essayons de fournir des contenus attendus par les jeunes, de la manière la plus accessible pour eux. Par exemple, nous proposons des émissions de radio populaires sous forme de podcasts ou des actualités à la fois sous forme audio et sous forme de texte, pour que les publics plus jeunes puissent sélectionner leur format préféré. Peu de jeunes écoutent la radio linéaire et je ne pense pas que nous soyons en mesure de les attirer vers cela. À la place, nous touchons ce public par le biais de toutes les plateformes possibles sans compromettre notre contenu.

Comment voyez-vous l’avenir de la radio si les publics jeunes se détournent de la radio linéaire ?

Je vois l’avenir de la radio comme la radio plus quelque chose. Ce plus représente des services médiatiques supplémentaires pour compléter la radio, qui se situe au centre. Par exemple, nous pouvons ajouter du texte, des photos, des vidéos aux matériels audio. Les médias de service public devant être proches du public, quel que soit l’endroit où il se trouve, nous devons utiliser différentes plateformes et technologies pour mieux le servir. Nous pouvons commencer par développer ce que nous possédons déjà. Par exemple, nous avons six ensembles musicaux et nous devons faire en sorte que leurs concerts soient plus visibles. Créer une vidéo en direct lors d’un concert était autrefois très onéreux, mais le coût a aujourd’hui beaucoup diminué, ce qui nous permet d’avoir à disposition davantage de vidéos de nos concerts et de produire plus de musique, au format audio et vidéo, et de les diffuser au public via les plateformes sociales des chaînes linéaires et les services de VOD.

Certains médias de service public hésitent à conserver des ensembles musicaux. Qu’en pensez-vous ?

Je considère les ensembles musicaux comme un grand avantage, car une partie de notre mission consiste à promouvoir la culture. Avoir des ensembles musicaux est un moyen fantastique d’effectuer cette promotion, car ils enregistrent de la musique, donnent des concerts et familiarisent les publics avec la musique bulgare, la musique européenne et la musique du monde. La BNR compte plus de 200 musiciens, et pour assurer leur avenir nous devons les utiliser de façon optimale. Nous devons faire en sorte que leur rôle et leur travail soient correctement pris en compte dans la législation sur les médias. Ils constituent une part importante de la scène culturelle de notre pays qui n’est pas utilisée actuellement à son plein potentiel.

Que pensez-vous de la législation sur la liberté des médias proposée par l’UE et de son impact en Bulgarie et partout en Europe ?

Pour moi, le message le plus important de cette proposition est que la Commission européenne comprend l’importance de l’indépendance des médias de service public. Je pense que dans certains domaines, la législation sur la liberté des médias pourrait être bénéfique pour la Bulgarie et pour l’ensemble de notre région. La protection de l’indépendance éditoriale et les garanties pour un fonctionnement indépendant des médias de service public, notamment un financement adéquat et stable, sont très importantes. Nous sommes aux prises avec ces défis depuis longtemps déjà. La législation sur la liberté des médias pourrait nous aider à obtenir les garanties dont nous avons besoin pour être véritablement indépendants et en sécurité lorsque nous faisons notre travail. Naturellement, il reste de nombreuses questions, comme de savoir si les garanties seront suffisamment efficaces ou s’il existe un risque que la réglementation soit excessive, et comment garantir l’indépendance par rapport à la Commission européenne. Mais je suppose qu’il est encore temps de discuter et de clarifier la proposition. La BNR et le BNT sont actuellement en pourparlers avec le ministère de la Culture bulgare au sujet de son projet d’avis sur la législation européenne sur la liberté des médias (EFMA).

La vraie question porte-t-elle sur la souveraineté et le risque de la perdre dans certains domaines ?

L’atmosphère qui règne actuellement en Europe n’est pas propice à une telle législation. De nombreux pays craignent qu’une trop grande part de leur souveraineté ne leur soit confisquée par l’UE et cela pourrait orienter le débat dans une direction très différente. Je préférerais regarder la législation sur la liberté des médias du point de vue d’un expert des médias. Une plus grande solidarité est nécessaire entre les membres de l’UER. La législation sur la liberté des médias est absolument nécessaire dans les pays qui aspirent à devenir membres de l’Union européenne et dans les pays qui luttent encore pour la démocratie. En Europe centrale et orientale, nous avons des pays qui font partie de l’UE, des pays qui ne font pas partie de l’UE et des pays qui aspirent à faire partie de l’UE, ce qui confère une grande diversité à toute la région. Je pense que toute législation européenne importante, telle que la législation sur la liberté des médias, influencera sans aucun doute la législation des pays qui ne font pas encore partie de l’UE, car ils alignent généralement leurs propres systèmes juridiques sur ceux des pays de l’UE. L’influence de cette législation pourrait donc dépasser les frontières de l’UE.

Voyez-vous la BNR comme un possible exemple ou un catalyseur pour une meilleure coopération entre voisins ?

Nombre de nos collègues de la région sont confrontés aux mêmes problèmes que nous. Certains d’entre eux réussissent très bien à surmonter les difficultés. Nous pouvons apprendre beaucoup les uns des autres et nous donner mutuellement le courage de continuer. Il est très important d’entretenir des liens étroits. Parfois, le simple fait de partager des points de vue sur un sujet ou une expérience utile peut être d’un grand secours. C’est pourquoi je pense que nous devons renforcer nos liens avec nos voisins et avec les médias publics de la région. La BNR met tout en œuvre pour faciliter les partenariats. Nous essayons de faire cela dans toutes les langues parlées dans les pays dont nous sommes voisins. Je suis heureux d’annoncer que nous avons lancé récemment un site Web en roumain et que nous allons également débuter des podcasts dans cette langue. Nous pouvons à présent proposer des contenus dans toutes les langues de nos pays voisins, ce qui peut s’avérer utile pour en apprendre davantage sur la Bulgarie.

L’Europe est à présent confrontée au défi commun de la pression économique qui fait suite au Covid, à la guerre en Ukraine, à l’inflation et à la hausse des coûts. Comment la BNR relève-t-elle ces défis ?

Nous essayons d’optimiser nos dépenses, sans compromettre nos services, particulièrement dans une période où nous avons besoin de nous développer, et le développement nécessite encore plus de ressources financières. Par exemple, en 2022, nous avons renforcé notre présence sur le Web et les réseaux sociaux, ce qui signifie que nous avons maintenant besoin de cadreurs pour générer des contenus vidéo en ligne. Nous avons également besoin d’investir dans de nouveaux talents, pas seulement pour remplacer les personnes qui travaillent déjà pour nous, mais aussi pour ajouter de nouveaux talents. Nous avons besoin de personnes ayant de nouvelles compétences pour nous aider à être plus performants en ligne. Et je crains qu’avec l’inflation, cela prenne plus de temps que nous ne le souhaiterions.

Pensez-vous que l’environnement soit favorable à des modifications du cadre juridique applicable aux médias de service public en Bulgarie ?

Je pense qu’il existe un consensus dans la société pour de nombreux développements dont la BNR parle depuis une dizaine d’années. Mais nous avons une instabilité politique, avec quatre élections parlementaires en à peine plus d’un an. Afin de repenser le cadre juridique des médias, nous avons besoin d’un gouvernement stable, car c’est quelque chose qui touchera réellement chaque membre de notre société. Et il est important que nous le fassions correctement.

Pensez-vous qu’il soit nécessaire de modifier le système de financement des médias de service public en Bulgarie afin de garantir un financement stable, indépendant, prévisible et adapté ?

Nous sommes toujours financés selon une méthodologie qui ne prend en compte que nos programmations linéaires. Au fil des années, nous avons ajouté des services non linéaires, des réseaux sociaux et des ensembles musicaux. Nous avons également d’énormes archives que nous sommes maintenant en train de numériser. Ces activités représentent toutes des dépenses importantes. Si elles sont prises en compte dans la loi, il sera beaucoup plus facile pour nous de travailler.

Quelles mesures pourraient garantir l’indépendance de ce financement ?

Nous avons besoin que notre mission soit clairement définie dans la loi et que le financement soit déterminé en fonction de notre mission. Une fois toutes nos activités bien décrites, il sera beaucoup plus facile de calculer le financement dont nous aurons besoin pour remplir notre mission. Si la mission publique est suffisamment bien décrite et si le financement est lié à la mission, alors le cadre est satisfaisant.

Vous avez récemment participé au programme exécutif de l’UER et au sommet des dirigeants qui s’est tenu à Cadenabbia. Quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés de ces événements de l’UER ?

Il y a tellement de choses qu’il est difficile de désigner quelques-unes d’entre elles seulement. Je peux citer deux des principaux enseignements :

  • ne pas perdre du temps et de l’énergie sur des choses que l’on ne peut pas contrôler, et
  • ce qui fait les bons contenus, c’est la capacité à répondre aux besoins émotionnels fondamentaux des gens.

Une autre chose que j’ai beaucoup aimée, c’est que le futur est déjà là. Il n’est tout simplement pas réparti de manière égale, ce qui signifie que bien souvent, lorsque vous voulez faire progresser votre organisation, vous réalisez que quelqu’un a déjà fait quelques pas dans cette direction. Il faut juste savoir où regarder. Il s’agit peut-être de quelqu’un qui se situe en dehors de votre domaine d’activité, ou en dehors du secteur des médias, mais quelque chose que vous souhaitez pour votre organisation a déjà été mis en œuvre par ailleurs. C’est un très bon mode de réflexion. Et vous avez juste besoin d’élargir votre horizon et de regarder ailleurs. Il est plus important de penser non pas comme un dirigeant, mais comme un leader. En ce qui me concerne, c’est ce que je m’efforce de faire chaque jour.

Quel est le rôle de l’UER pendant cette période critique ?

L’UER peut aider dans de nombreux domaines, notamment par des activités de lobbying et de partage des connaissances. L’un des points les plus importants est de favoriser les discussions. Nous avons déjà parlé de l’importance du maintien de relations étroites avec les pairs des médias. Je pense que l’UER constitue un excellent forum de discussion. Je pense que la nouvelle initiative « Une journée avec » qui consiste à rendre visite à un Membre sur place et à rencontrer son équipe de direction est la chose à faire. Elle donne aux dirigeants de différentes régions l’occasion d’échanger des expériences et de partager les bonnes pratiques dans un environnement fiable.

Comment décririez-vous en un mot vos efforts et vos objectifs stratégiques ?

Il me faut en réalité trois mots : plus forts ensemble. Je crois sincèrement au travail d’équipe et je pense qu’une équipe est toujours plus forte qu’une personne seule, quel que soit son talent. Je préfère donc un environnement de travail dans lequel les gens peuvent parler entre collègues de ce qu’ils ont en tête et avoir connaissance d’idées qui améliorent leurs propres idées. L’importance de la direction ici est qu’en tant que dirigeants nous devons nous assurer que cet environnement existe, que les gens sont habilités et qu’ils n’hésitent pas à parler avec la direction, car ces contacts sont essentiels à la confiance et au progrès.

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Contact


Radka Betcheva

Responsable des relations avec les Membres - Europe centrale et orientale

betcheva@ebu.ch