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Les médias publics et la démocratie vivent des temps agités – Que peut nous apprendre l’exemple lituanien ?

07 janvier 2022
Les médias publics et la démocratie vivent des temps agités – Que peut nous apprendre l’exemple lituanien ?
Monika Garbačiauskaitė-Budrienė, Director General of LRT and member of the EBU Executive Board

Un paysage médiatique fragmenté, des pressions politiques croissantes, un vif ressentiment envers les médias et des attaques toujours plus nombreuses contre les journalistes : telles sont les nouvelles réalités dans lesquelles les médias de service public (MSP) doivent opérer. Comment peuvent-ils s’adapter à ce paysage médiatique en pleine mutation ? Que peuvent-ils faire pour renforcer la solidarité et nourrir la confiance au sein d’une société pourtant toujours plus divisée ? Monika Garbačiauskaitė-Budrienė, directrice générale de la LRT et membre du Conseil exécutif de l'UER, revient sur les enseignements que les médias lituaniens de service public ont tirés de la crise.

Nous avons vécu une fois encore une année marquée par le Covid. Certes, de nombreux exemples témoignent de la formidable solidarité dont la société a fait montre face à la pandémie, mais cette dernière s’est aussi traduite par des tensions sociales et un ressentiment toujours plus vif à l’égard des médias.

Partout en Europe, de nombreuses manifestations ont eu lieu contre la vaccination, avec parfois dans leur sillage de violentes attaques contre les journalistes. Ce phénomène n'est toutefois pas apparu avec le Covid. En Lituanie, les personnes farouchement opposées aux vaccins réclamaient de pouvoir s’exprimer sur nos antennes avant même la pandémie. Les rassemblements devant le siège de notre organisme sont depuis longtemps un moyen d'attirer l'attention du pouvoir politique. Ces dernières années, nous avons aussi fait l'objet de pressions politiques importantes.

En somme, la crise sanitaire mondiale n'a fait que mettre en lumière des tendances destructrices et des problèmes profonds.

Les acteurs politiques font partie des grandes sources de manipulation

Aujourd'hui, la manipulation de l'opinion publique est l’un des principaux facteurs de division et de polarisation de la société. Les groupements d'intérêt, les régimes autoritaires et les dictatures s’en donnent à cœur joie. Mais ce phénomène inquiétant touche aussi les pays démocratiques.

Plusieurs études ont en effet montré que les gouvernements, les partis et les responsables politiques font partie des principaux acteurs de la propagande numérique et de la désinformation. Ainsi donc, une enquête réalisée en 2020 par l'Oxford Internet Institute dans plus de 80 pays a identifié des éléments de désinformation dans 93 % des messages politiques. Elle a aussi mis en lumière, dans l’ensemble des pays étudiés, l’utilisation des médias sociaux à des fins de désinformation.

La situation en Lituanie confirme ces conclusions. Sans l'aide des grands médias, les forces politiques peuvent fabriquer et diffuser des mensonges et ainsi rallier plus facilement à leur cause, tout en entretenant la colère sociale. L'ancien parti au pouvoir, l'Union des agriculteurs et des écologistes, a fondé sa campagne et sa communication politiques en partie sur une théorie du complot concernant la LRT.

C’est donc un sentiment de défiance qui ne cesse de se répandre. Les médias sont de plus en plus vulnérables et en Lituanie, la confiance envers les médias a atteint un niveau historiquement bas.

Si, par le passé, les attaques populistes et les tentatives de marginalisation visaient principalement la LRT, ce sont aujourd’hui tous les médias « grand public » qui sont vus comme des ennemis. Les reporters sont victimes de harcèlement en ligne et subissent des menaces physiques. En l’état actuel des choses, les journalistes lituaniens doivent même retirer leur insigne en public. Ce qui se passe en France et aux Pays-Bas depuis plusieurs années se produit maintenant aussi en Lituanie.

À confiance publique élevée, influence et responsabilités importantes

Dans un environnement aussi complexe il est très important pour tous les médias, et en particulier pour les MSP, de faire preuve d’une intégrité irréprochable et de la plus grande transparence possible. Ils doivent aussi s’attacher à nouer des liens étroits avec leur public et à lui offrir des contenus reconnaissables. Les MSP ont fait à cet égard des progrès remarquables, à tout le moins en Lituanie.

La LRT est le seul groupe lituanien de médias qui diffuse des informations 24 heures sur 24. Elle dispose du plus vaste réseau de reporters en région et s’appuie sur de nombreux partenaires dans le monde entier, de la Lettonie à l'Afrique du Sud. Consciente de la nécessité de renforcer ses liens avec son public, d'écouter tous les points de vue et d’y répondre, la LRT a récemment créé LRT LISTENS, qui aborde les enjeux sociétaux du moment.

Elle exploite en outre une plateforme dédiée, LRT Lituanica, à destination de la diaspora lituanienne vivant à l'étranger. Cette plateforme est la seule à proposer un telle quantité de contenus pour les communautés ethniques et à adapter ces contenus aux personnes ayant des besoins spécifiques.

La LRT s'est par ailleurs lancée dans le journalisme constructif et elle joue un rôle de premier plan dans la vérification et la dénonciation de la désinformation, tout en favorisant l'éducation aux médias. Récemment, aux côtés de nos partenaires de la Deutsche Welle et du Baltic Centre for Media Excellence, nous avons mis en œuvre un projet de sécurité de l'information destiné aux jeunes utilisateurs et utilisatrices de TikTok. Les enquêtes journalistiques de la LRT ont ainsi mis en lumière de nombreux problèmes, ce qui a encouragé les autorités à y répondre.

Notre mission est de consolider et de renforcer la solidarité et l'unité dans notre société. Dans cette optique, la LRT a prouvé sa capacité unique à mobiliser l'ensemble de la société autour d’initiatives de grande ampleur, qu'il s'agisse de la commémoration de la « Voie balte », , du rassemblement organisé en soutien au peuple biélorusse, ou de la campagne de solidarité lancée dans le sillage de l’épidémie de Covid.

Historiquement, les radiodiffuseurs de service public respectent les normes éthiques les plus élevées et sont suivis de près par le public. C'est pourquoi la LRT a également progressé vers l'élaboration et l'application d'un code de déontologie pour les journalistes ainsi que dans la formation de ses reporters, s’agissant des questions éthiques et juridiques.

Autant d’ambitions qui n'obligent pas seulement la LRT à respecter les normes qu’elle s’est fixées, mais qui lui permettent également de poser les jalons d’un environnement médiatique compétitif, ce qui profite à tous les médias. C’est particulièrement le cas sur les petits marchés médiatiques et dans les jeunes démocraties, où ce sont les MSP qui fixent les normes d’un journalisme de qualité. Il est par conséquent primordial, dans ce contexte, de garantir le bon fonctionnement des MSP et de leur assurer un financement pérenne.

Compte tenu de la nature des défis auxquels nous sommes confronté.e.s et de l'influence des MSP, nous devons renforcer notre contribution à la démocratie, selon la formule « Exposer, Expliquer, Éduquer ».

Les médias de service public doivent continuer à lutter contre la désinformation et les fake news. Ils doivent non seulement dénoncer les fausses informations, mais aussi les sources, les techniques et les intérêts qui y sont liés. Nous devons montrer comment l'espace public est utilisé à mauvais escient, notamment sous l’influence des trolls numériques et de certains acteurs du monde politique.

Il est absolument nécessaire d'éduquer notre public et de renforcer sa capacité à poser des choix éclairés, à reconnaître les manipulations et à prendre des décisions en connaissance de cause.

Les médias publics doivent investir davantage dans le journalisme d'investigation, afin de demander des comptes aux puissants.

Autant d’efforts qui garantiront une plus grande transparence et une responsabilité accrue, ce qui permettra de développer la confiance du public envers la démocratie et les médias.

Enfin, pour préserver la démocratie et renforcer la résilience de la société, les gouvernements doivent s'efforcer de mieux communiquer leurs décisions, de protéger les médias indépendants et de garantir la sécurité des journalistes.

Il leur incombe de garantir un financement pérenne et suffisant aux MSP, prérequis indissociable de leur indépendance, de leur compétitivité et de leur contribution à la société.

Car il est crucial, pour les médias, la société et la démocratie, que des MSP solides, crédibles et libres puissent exister.

Liens et documents pertinents

Ecrit par


Monika Garbačiauskaitė-Budrienė

Directrice générale​