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DISCOURS

Allocution de bienvenue de Delphine Ernotte-Cunci, présidente de l’UER et de France Télévisions, aux rencontres Télés, visions publiques !

17 janvier 2022
Allocution de bienvenue de Delphine Ernotte-Cunci, présidente de l’UER et de France Télévisions, aux rencontres Télés, visions publiques !
Delphine Ernotte-Cunci

Delphine Ernotte-Cunci, présidente de l’UER et de France Télévisions, souhaite la bienvenue aux participants aux rencontres Télés, visions publiques ! sur l’avenir des télévisions publiques en Europe.

Mesdames, Messieurs

Je suis très heureuse de vous retrouver aujourd’hui, depuis cette belle salle Pleyel et je vous adresse tous mes vœux pour cette nouvelle année. Qu’elle soit plus douce, empreinte de liberté et une touche d’insouciance ! 

D’abord un immense merci à mes collègues européens et français qui sont à mes côtés et interviennent aujourd’hui à Paris ou à distance : nos défis en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Suède… sont identiques.

Merci aussi à l’ensemble des très nombreux intervenants qui échangeront aujourd’hui. Vous apporterez chacune et chacun une contribution unique et précieuse. 

La France a pris la présidence du conseil de l’Union Européenne il y a quelques jours. Il m’a semblé important de nous réunir pour aborder ensemble ce qui fonde la « vision publique » de notre télévision.  Nous avons tenu à maintenir l’évènement aujourd’hui malgré le contexte sanitaire car il y a urgence à se mobiliser.

Il y a quelques jours le classement de Reporters Sans Frontières révélait que, sur la planète entière, jamais il n’y avait eu autant de journalistes emprisonnés : 46 journalistes ont été tués en 2021, dont la grande majorité « sciemment ciblés et éliminés ». Je tiens d’ailleurs à saluer ici la mémoire de Gilles Jacquier, notre reporter de France 2, mort il y a tout juste dix ans à Homs en Syrie. La liberté de la presse n’a jamais été autant fragilisée, attaquée et menacée au 21e siècle.

Face à cela, il y a urgence à préserver le modèle européen du pluralisme et de la liberté des médias. La France a toujours été aux avant-postes des combats pour la liberté d’expression, pour la liberté d’informer et celle des journalistes ; pour la défense d’une culture européenne vive, indépendante, plurielle et audacieuse. Ces principes sont fondateurs de l’Union européenne. Ils sont au cœur de notre modèle démocratique et de notre histoire.

 « Si les mémoires divisent, l’histoire elle rassemble », écrivait Benjamin Stora. Nos mémoires européennes varient d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre. Mais notre histoire, celle de la démocratie, est commune. Nos médias publics participent à ce récit démocratique par leur force, leur liberté, leur indépendance. Face à un terrible dérèglement médiatique qui menace aujourd’hui nos démocraties, nous sommes la  meilleure réponse d’avenir.

Je ne sais pas si vous avez profité des vacances de Noël pour voir un film qui n’est ni européen, ni disponible dans une salle de cinéma ni à la télé « Don’t look up ». C’est une excellente métaphore de notre réaction ou de notre absence de réaction  au risque climatique. Une autre comète ou une autre tempête nous menace alors que nous regardons ailleurs : c’est le dérèglement médiatique.

Aujourd’hui, 3 français sur 4 affirment ne plus parvenir à se faire une idée claire de l’actualité. Ces chiffres sont inquiétants et doivent collectivement nous alerter. Ce sera d’ailleurs l’un des principaux enjeux de cette journée d’échanges.

La première cause c’est l’émergence massive des réseaux sociaux. A leur création, ils ont été un espoir de libération, ils sont aujourd’hui une bombe à fragmentation. On se souvient tous des espoirs suscités par le « Printemps arabe » ou des autres révolutions citoyennes permises par le numérique.  Sans naïveté il faut dresser maintenant un constat lucide sur leur impact sur nos démocraties.

Une fausse information circule 6 fois plus vite sur les réseaux que n’importe quelle autre. Des lanceurs d’alerte courageux, comme Frances Hauguen, sont venus nous interpeller sur les stratégies délibérées de certains pour polariser le débat à des fins strictement mercantiles. Par une utilisation abusive et algorithmique de la data – ce que Bruno Patino qualifie très justement dans son dernier ouvrage de « datature », ils enferment les citoyens dans des bulles de pensées clivantes.

En servant ainsi de caisse de résonnance à des contre-vérités, en donnant l’illusion que toutes les paroles se valent, les réseaux sociaux sapent les fondements de la confiance à l’égard du travail journalistique et de toute forme d’expertise. Ils minent la confiance de l’information délivrée aux citoyens.

La seconde est l’émergence partout en Europe de chaînes d’information qui n’en ont en réalité que le nom. Certaines sont devenues des chaînes d’opinion, pour ne pas dire d’une opinion. En faisant le pari de l’hystérisation des débats au détriment de leur vocation à informer, elles disqualifient ce qui fonde une information de qualité et sûre : le pluralisme, le recul, le débat.

Or l’information n’est pas un contenu commercial. L’imaginer comme tel ne peut qu’alimenter une course au clash, une course à la viralité. L’information de qualité est précieuse car elle détermine notre regard sur le monde. Elle en révèle sa complexité et ses nuances. Elle permet de débattre sans s’affronter. D’écouter sans dénigrer. Elle utilise le temps long pour enquêter. C’est ce qui distingue nos médias publics. C’est le travail quotidien de nos quelques 40 000 journalistes en Europe, la plus grande rédaction au monde. 

Au même moment, partout en Europe, des attaques lourdes sont menées sur la liberté d’expression, l’indépendance des journalistes et des médias publics.

« La pratique du journalisme libre et indépendant a subi des atteintes d’une extraordinaire gravité » écrivait récemment le Conseil de l’Europe dans son rapport annuel. Les attaques physiques sur les journalistes, et notamment les femmes, les tentatives de harcèlement et d’intimidations ont connu une progression de plus de 40% en un an.

Ces attaques vont souvent de pair avec des menaces frontales de partis au pouvoir en République tchèque, en Slovénie, en Hongrie, en Pologne… contre les médias publics. Ils sont menacés dans leur indépendance. Menacés dans leur autonomie vis-à-vis du pouvoir politique. Menacés dans leur liberté d’exercer et d’informer librement.

Il y a aujourd’hui deux manières de nous mettre en cause.

La première menace c’est la nostalgie des médias d’Etat. Même sur notre continent européen, nous voyons des gouvernants rêver à nouveau d’un contrôle et d’une mainmise pour faire des médias publics des outils de propagande. Partout dans le monde, la reprise en main de l’audiovisuel public est très souvent la toute première action des régimes autoritaires.

La deuxième menace c’est le mythe du tout privé. On voit ressurgir ce fantasme dans toutes les élections en Europe : avec le référendum suisse ; ou au moment du vote du Brexit. Il ne s’agit plus seulement de faire émerger des chaînes privées. Certains proposent directement de nous éradiquer.

Soyons clair, un paysage médiatique sans média public existe, c’est celui des Etats-Unis. Est-ce un modèle que nous souhaitons pour notre continent ? Un paysage médiatique où dominent les seuls médias d’opinion et où le buzz triomphe sur la raison ? Pas besoin de longs discours, souvenons-nous juste des images de l’assaut du Capitole il y a tout juste un an ! 

Partout dans le monde, quand l’audiovisuel public est attaqué, c’est la démocratie et le pluralisme que l’on affaiblit.

Car télévision publique est populaire. C’est une télévision qui informe, qui élève et qui émancipe. C’est une télévision qui ressemble aux citoyens et qui les rassemble.

Face à ces défis majeurs, l’Europe n’est plus naïve. Nous avons aujourd’hui la chance de compter sur une commission européenne ambitieuse, et je voudrais tout particulièrement remercier le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton qui interviendra  dans un instant. Des textes majeurs sont sur la table pour créer une véritable régulation de l’espace numérique européen. Pour défendre notre souveraineté culturelle, numérique et technologique face à des géants extra-européens. Pour préserver l’espace de la démocratie  et créer les conditions d’une nouvelle croissance.

La mission n’est rien de moins que de préserver notre « espace public ». J’en profite pour saluer la création de l’ARCOM le 1er janvier dont le président, Roch-Olivier Maistre, interviendra en fin de matinée.

Les télévisions publiques sont un des piliers de notre démocratie et un de ses marqueurs. Notre  indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques et des pouvoirs économiques, notre  position  unique dans le paysage audiovisuel est le fondement de la confiance que nous accordent les citoyens.

C’est avec cet acquis que nous pourrons continuer à mener une offensive directe et frontale contre la désinformation, contre la manipulation, contre la culture du clash et du buzz. Avec une seule préoccupation : préserver un avenir commun et continuer à nous adresser à tous. Je suis certaine que les débats d’aujourd’hui apporteront des réponses. 

Les Français regardent la télévision en moyenne 3h40 chaque jour. Et plus de 8 français sur 10 France Télévisions chaque semaine.

Quand les réseaux sociaux enferment et cloisonnent, quand les plateformes individualisent à l’extrême, la télévision réunit. Elle réunit les familles : parents et enfants qui partagent la même émotion ensemble devant un programme. Elle réunit les territoires, en donnant à voir les villes et les campagnes, les centres villes et les quartiers périphériques, nos régions et l’Outre-mer. Elle unit jusqu’à la nation toute entière, lors des grands événements démocratiques, d’information ou sportifs.

En Europe, les télévisions commerciales ne joueront jamais ce rôle unique d’accès gratuit et universel à la culture, au cinéma, à la littérature, au spectacle, aux concerts. Nous abolissons les distances et les frontières, géographiques et sociales. Un tiers des Français ne se rend jamais au cinéma. Mais combien sont-ils à ne jamais aller au théâtre, à l’opéra ou à un ballet ? Ils sont en tout cas 13 millions à regarder chaque semaine Culturebox.

Cette démocratisation de la culture fait notre force. La Ministre de la Culture Roselyne Bachelot qui porte cette ambition nous fera l’honneur de sa présence cet après-midi.

Nous ne nous adressons pas à nos publics comme à des cibles publicitaires mais comme à des citoyens éclairés.  Loin de l’uniformisation proposée par les plateformes, les télévisions européennes sont les premiers soutiens d’une culture vivante et diverse.

Nous sommes convaincus que les industries culturelles et créatives représentent un secteur d’avenir. Ce sont près de 8 millions d’européens qui travaillent chaque jour dans le domaine. Cette créativité s’exporte et fait rayonner notre influence dans le monde entier.

La culture n’est pas une charge pour les finances publiques, elle est un levier pour une économie dynamique. Oui, la culture nous sauvera ! Plus encore, comme nous l’avons prouvé dans une récente étude, la télévision publique a un effet multiplicateur pour l’économie. Partout, en Europe un euro investi dans la télévision  publique c’est au moins trois euros de PIB  créé dans tous les territoires.

J’ai la conviction que les industries culturelles et créatives sont le chemin d’une nouvelle croissance vertueuse. 

Le projet européen est né d’une vraie ambition démocratique et humaniste. Jean Monnet définissait ainsi le sens de son engagement : « Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes ».

L’audiovisuel public européen contribue avec force, et plus que tout autre média, à réunir les citoyens, à partager du commun. Nos sociétés ont plus que jamais besoin de se rassembler. Et nous sommes déterminés à porter toujours plus haut cette mission. 

En mai 1968, beaucoup d’entre vous n’étaient pas encore nés mais un slogan écrivait sur nos murs « Réveillez-vous, éteignez la télé ! ». Aujourd’hui, moi j’ai envie de vous dire, « Réveillez-vous, allumez la télé ! ».

Je vous souhaite, à toutes et à tous, une excellente journée et de riches échanges. Merci encore pour votre présence.

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Claire Rainford

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