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Sécurité des journalistes : une nouvelle législation européenne pourrait faire la différence

13 septembre 2021
Sécurité des journalistes : une nouvelle législation européenne pourrait faire la différence

Cette semaine, la Commission européenne publiera à l’attention des États membres une recommandation visant à garantir la sécurité des journalistes dans toute l’Union européenne. Nous ne connaissons pas encore la teneur exacte de cette recommandation, mais il est essentiel qu’elle ait suffisamment de poids pour améliorer les mesures déjà prises par les États membres afin de lutter contre un phénomène qui menace gravement la démocratie.

La pratique d’un journalisme de qualité est soumise à des pressions sans précédent. Les contraintes économiques, les ingérences politiques et le volume des fausses informations, ainsi que la vitesse à laquelle elles se propagent, sont désormais des défis quotidiens pour quantité de journalistes. 

Mais malgré ces contraintes, les reporters n’ont pas faibli lorsque nous en avions le plus besoin. Selon le dernier Digital News Report du Reuters Institute, durant la pandémie, la confiance à l’égard des informations a augmenté de 6 %.

Et c’est vers les médias de service public que les personnes en quête d’informations et d’actualités fiables et éprouvées se sont tournées. Alors que la crise s’enlisait, l’audience des bulletins d’information du soir des Membres a été 2,5 fois plus élevée les jours de pointe.

Pourtant, au fur et à mesure que notre besoin d’actualités fiables s’amplifie, celles et ceux qui les mettent à notre disposition sont menacé.e.s en ligne et sur le terrain. 

Cette situation peut avoir des conséquences dévastatrices. Ainsi donc, ce ne sont pas moins de 50 journalistes qui ont été tué.e.s l’an dernier à travers le monde, dans l’exercice de leur métier. La plupart étaient sciemment ciblé.e.s et ont été délibérément assassiné.e.s. Récemment, Peter R. De Vries a été abattu à Amsterdam. Quelques semaines auparavant, Giorgos Karaivaz avait été tué à Athènes. Les Membres de l’UER eux-mêmes en ressentent les conséquences directes. La NOS, aux Pays-Bas, a ainsi été obligée de retirer son logo de ses cars satellites à la suite de nombreuses menaces et actes d’intimidation à son encontre. Ces cinq dernières années, les coûts liés à la sécurité engagés par la SVT (Télévision suédoise) — dont une grande part est destinée à la protection personnelle — ont quadruplé. Dans des pays tels que l’Italie, la France, l’Espagne et l’Allemagne, les personnels des radiodiffuseurs ont subi des attaques en raison de leur couverture de la pandémie de COVID-19, et il y a un peu plus d’une semaine, à Ljubljana, des défenseur.euse.s du mouvement antivaccin ont fait irruption dans les rédactions de la RTV Slovenija.

Trop souvent, les attaques contre les journalistes et les professionnel.le.s des médias ne sont pas sanctionnées. La recommandation de la Commission européenne doit impérativement mettre un terme à cette impunité. Des enquêtes doivent être rapidement menées et des poursuites engagées pour que les responsables répondent de leurs actes devant les tribunaux. 

L’explosion de la consommation des médias en ligne a engendré des problèmes spécifiques tels que le harcèlement, la maltraitance et les agressions en ligne. Ce phénomène est particulièrement aigu pour les femmes : selon une étude de l’UNESCO, ce ne sont pas moins de 73 % des femmes journalistes qui sont la cible d’hostilités en ligne, un nombre effarant. 

Datant de 2016, la Recommandation du Conseil de l’Europe sur la protection du journalisme et la sécurité des journalistes envisage la sécurité et l’intégrité des reporters de façon exhaustive et approfondie. L’UER espère que la Recommandation de la Commission européenne lui emboîtera le pas.

Il serait en effet souhaitable que les mesures proposées par la Commission européenne viennent compléter les règles énoncées dans la législation de l’UE sur les services numériques, qui s’applique aux plateformes en ligne. Les plateformes en ligne doivent assumer une plus grande part de responsabilité dans la suppression des contenus illicites, qu’il s’agisse de menaces, de messages d’intimidation ou d’autres formes de harcèlement. Elles devraient également faciliter le signalement d’activités et de contenus illicites en développant des outils à cet effet. Leurs procédures de gestion et de résolution des plaintes doivent être transparentes, faciles d’utilisation et effectives. Et bien que l’intelligence artificielle puisse s’avérer utile pour repérer et supprimer les contenus illicites, ces tâches ne devraient pas être uniquement laissées à des machines : elles doivent être supervisées de façon appropriée par une personne.  

Pour avoir une vision fiable de l’étendue des violences ciblant les journalistes en ligne, les plateformes numériques devraient procéder à la collecte obligatoire de données et ventiler ces dernières par genre afin de lutter contre les violences sexistes. 

Les règles auxquelles les plateformes numériques sont soumises ne sont efficaces que si elles sont correctement mises en application. Les autorités de régulation des médias doivent être habilitées à sanctionner tout manquement aux règles en infligeant, au minimum, d’importantes amendes. Quant aux plateformes en ligne, elles doivent être tenues de soumettre régulièrement aux autorités compétentes des rapports démontrant qu’elles ont pris les mesures requises. 

La recommandation de la Commission représente un pan vital d’un large mouvement visant à améliorer l’environnement de travail des journalistes, tant en ligne que hors ligne. L’UER souhaite contribuer à l’avancement de la législation à venir sur la liberté des médias et à l’élaboration de politiques de l’UE telles que le Plan d’action pour la démocratie européenne et la législation sur les services numériques. Cette dernière, qui concerne les contenus illicites, devrait de surcroît empêcher toute ingérence des plateformes dans des contenus provenant de médias faisant déjà l’objet d’une réglementation. Comme le commissaire européen Thierry Breton l’a récemment déclaré, ce qui est illicite hors ligne doit également l’être en ligne, et ce qui est licite hors ligne doit l’être en ligne. Les plateformes ne doivent pas exercer de contrôle éditorial sur des contenus de médias licites.

L’UER participe également à la plateforme du Conseil de l’Europe pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes. Nous soutenons les activités de défense de la liberté d’expression des Nations Unies, de l’UNESCO, de l’OSCE et de diverses ONG. Dans le courant du mois, j’aurai le plaisir de participer à la conférence internationale des radiodiffuseurs de service public, où des MSP du monde entier appelleront à agir contre la violence ciblant les journalistes.

Chaque jour, nos collègues doivent faire l’impasse sur leur sécurité et leur bien-être pour permettre au plus grand nombre d’accéder à des informations fiables et éprouvées, qui constituent le socle de nos démocraties européennes. Nous ne pouvons qu’espérer que la recommandation de la Commission européenne atténue le risque auquel ces professionnel.le.s sont exposé.e.s dans l’exercice de leur métier. 

Liens et documents pertinents

Ecrit par


Jean Philip De Tender

Directeur général adjoint, Directeur du Département Médias

detender@ebu.ch