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Entretien avec Shula Rijxman, présidente de la NPO (Nederlandse Publieke Omroep)

26 août 2021
Entretien avec Shula Rijxman, présidente de la NPO (Nederlandse Publieke Omroep)

Shula Rijxman, présidente de la NPO, le radiodiffuseur néerlandais, s’est entretenue avec Marie-Soleil Levéry, responsable des Relations avec les Membres - Pays nordiques, Belgique et Pays-Bas, à l’UER.

Vous avez été la première femme nommée à la présidence du conseil d’administration de la NPO. Pouvez-vous nous parler du parcours qui vous a conduite à cette fonction ?

J’ai travaillé dans le journalisme et la communication. Ma carrière s’est accélérée lorsque je suis devenue directrice exécutrice d’IDTV, l’une des plus grandes sociétés de production aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

Parallèlement, j’étais engagée dans l’action associative, notamment en faveur des femmes. J’ai adhéré à Women Inc, une organisation œuvrant en faveur de l’égalité des chances indépendamment du sexe et de l’identité sexuelle. L’une de mes principales initiatives a été d’inviter des enfants issus des familles de grands leaders comme Gandhi et Martin Luther King, à rejoindre la fondation et à faire leurs études aux Pays-Bas.

Je suis ensuite entrée à la NPO et, en 2016, j’ai succédé à Henk Hagoort à la présidence du conseil d’administration. J’ai été la première femme siégeant au conseil d’administration. Et un seul autre radiodiffuseur néerlandais était alors présidé par une femme. C’était un monde d’hommes, mais qui commençait à évoluer. Aujourd’hui, nous sommes trois ou quatre femmes à occuper des postes de direction. Mais à l’époque où j’ai débuté, c’était différent.

La NPO est l’organe de gouvernance de plusieurs radiodiffuseurs indépendants, une spécificité du secteur de la radiodiffusion publique néerlandaise. Vous avez donné une identité unique à la NPO au travers de sa marque, de son marketing et de sa communication. Pourquoi était-ce nécessaire ?

La NPO devait attirer l’attention du public au sein d’un monde numérique. Aux Pays-Bas, les nombreux radiodiffuseurs publics indépendants, qui représentent différents courants sociaux et religieux ou qui ciblent des groupes spécifiques, ont chacun leur propre marque et leur propre contenu. Dans un univers aussi compétitif, le fait d’avoir plusieurs petites marques distinctes nous desservait. Pour survivre, il nous fallait une marque ombrelle, capable de se distinguer et reconnaissable par toutes et tous. Aujourd’hui, nous avons une marque NPO et une appli NPO, la plateforme publique sur laquelle nos téléspectateurs, téléspectatrices, auditeurs et auditrices trouvent les contenus de tous nos radiodiffuseurs.

Des coupes sombres ont été pratiquées dans le budget de la NPO. Qu’est-ce qui a conduit le gouvernement néerlandais à réduire des deux tiers votre budget, le faisant passer de 68 à 22 millions d’euros ?

Les dernières réductions budgétaires importantes sont intervenues en 2012, année où j’ai rejoint la NPO. Je me félicite que depuis lors, nous n’ayons pâti pratiquement d’aucune réduction supplémentaire. Le gouvernement néerlandais gère une réserve spéciale pour financer la NPO et les charges exceptionnelles des régions, radiodiffuseurs et autres médias. À la NPO, nous pensions que notre financement était assuré grâce à cette réserve. Mais lorsqu’il est apparu qu’elle était presque entièrement épuisée, nous avons dû faire face à une réduction drastique de notre budget, qui est passé de 68 à 22 millions d’euros. Nous avons alors lancé une vaste campagne de lobbying et avons obtenu du gouvernement une rallonge de 40 millions d’euros, ce qui a limité l’abaissement du budget à 62 millions d’euros. Parallèlement, nous avons optimisé l’utilisation des ressources, y compris dans la programmation.

En conséquence, nous n’avons subi presque aucune réduction budgétaire depuis une dizaine d’années. En 2021, nous avons même obtenu du gouvernement un budget plus élevé, ce qui est tout à fait exceptionnel. Je suis très fière qu’au cours de mon mandat, nous ayons réussi à stabiliser le budget de la NPO et à nouer une relation plus solide avec nos partenaires.

À l’instar de nombreux radiodiffuseurs européens de service public, la NPO a gagné en popularité au cours de la pandémie. Lorsque vous avez présenté vos vœux pour 2021, vous avez dit : « La population néerlandaise n’acceptera jamais que la NPO disparaisse ». Quelle est aujourd’hui la place de la NPO dans la société néerlandaise ?

La NPO a toujours occupé une place très importante et je pense qu’elle l’est encore plus depuis le début de la pandémie. La NPO a un réel impact sur la société néerlandaise, non seulement grâce à ses émissions d’information, mais aussi à une programmation générale diversifiée. Je citerai notamment Tegenlicht (documentaires), Frontberichten (mettant en scène un hôpital pendant la pandémie de Covid-19), Wie is de Mol (téléréalité d’aventure avec des célébrités néerlandaises) et le très populaire Great Dutch Bake Off, inspiré du Great British Bake Off de la BBC.

La NPO touche chaque mois 90 % de la population des Pays-Bas. NPO 1 est devenu leader du marché et NPO Radio 2 l’est également depuis 2017. NPO Start, notre plateforme à la demande, a enregistré près de trois millions de visites par semaine en juin 2021. Nous avons également renforcé notre présence sur YouTube avec des séries Web uniques en leur genre. NOS a également lancé sur Instagram les NOS Stories, qui comptent près d’un million d’abonné.e.s. Autant de chiffres dont nous ne pouvons que nous féliciter. Nous espérons ainsi rester en contact avec les jeunes et les convaincre d’utiliser plus souvent nos propres plateformes publiques.

Selon une étude récente, plus de huit journalistes sur dix ont subi une forme d’agression aux Pays-Bas. Est-ce une nouvelle menace pour le journalisme de qualité ?

Oui. Les temps sont très difficiles pour les journalistes. Même NOS, notre chaîne d’information, a dû retirer sa marque de ses véhicules couvrant l’actualité sur le terrain. Nous ne devons jamais céder à l’intimidation. À cet égard, un seuil a été franchi avec l’assassinat de Peter R. Vries, l’un de nos meilleurs journalistes spécialisés dans les affaires criminelles. Cette tragédie a profondément marqué les Pays-Bas, mais aussi le reste de l’Europe et du monde.

La sécurité des journalistes est indissociable de l’indépendance de l’information et du bon fonctionnement de la démocratie. C’est pour ces valeurs que nous continuerons à nous battre. Dans toute l’Europe, nous devons lutter pour la liberté d’expression, la liberté de parole, la liberté des journalistes.

Après deux ans d’absence, la NPO a réchauffé les cœurs du public européen avec une magnifique édition du Concours Eurovision de la Chanson. Comment s’est déroulée cette production internationale de tout premier plan ?

Tout a commencé à Tel Aviv en 2019. C’était formidable : nous avions gagné ! Nous étions sur un nuage. Mais le retour sur terre a été brutal… car nous avons commencé à nous inquiéter des modalités de financement. Notre gouvernement nous a cependant apporté son aide et nous l’en remercions.

En 2020, nous avons dû prendre la décision délicate de reporter le concours à l’année suivante. En 2021, nous avons mis toute notre énergie à préparer un événement dont nous ne savions même pas s’il pourrait avoir lieu. C’est un euphémisme de dire que la route était semée d’embûches.

Mais tous les radiodiffuseurs participants étaient derrière nous. Après plus d’un an de pandémie, nous avions tous et toutes besoin d’un grand moment de solidarité. Et l’émission s’est parfaitement déroulée. Aux côtés de NOS, d’Avrotros et de l’UER, nous avons mis sur pied une édition innovante du Concours Eurovision de la Chanson, grâce à une mobilisation générale. Nous avons placé la barre très haut ! Nous avons reçu de nombreuses marques d’affection et de soutien pendant la préparation et après la tenue de l’émission, ce dont la NPO est très reconnaissante.

Vous quittez la NPO à la fin de l’année 2021, après dix ans à sa présidence. Croyez-vous en l’avenir de la radiodiffusion publique ?

J’y crois absolument, j’en suis même convaincue. Je pense que la radiodiffusion publique aura un rôle important à jouer : nous créons de la valeur, nous contribuons à la démocratie, nous sommes une voix indépendante. Certes, personne ne peut dire de quoi demain sera fait, mais je pense que la radiodiffusion publique a de beaux jours devant elle. On n’exerce pas une présidence en solitaire et je remercie toutes les personnes qui ont collaboré avec moi.


(*) Selon une étude menée par I&O Research pour PersVeilig, publiée le 5 juin 2021 (https://europeanjournalists.org/blog/2021/06/07/netherlands-8-out-of-10-journalists-have-experienced-violence-or-threats/)

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Contact


Marie-Soleil Levery

Responsable Données Membres et Relations Nordiques

levery@ebu.ch