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Entretien avec Maria Rørbye Rønn, directrice générale de la Société danoise de Radio-Télévision (DR)

01 mars 2021
Entretien avec Maria Rørbye Rønn, directrice générale de la Société danoise de Radio-Télévision (DR)
Maria Rørbye Rønn

Maria Rørbye Rønn, directrice générale de la Société danoise de Radio-Télévision, s’est entretenue avec Marie-Soleil Levéry, responsable des relations avec les Membres nordiques de l’UER.

Quelle était la situation chez DR avant la pandémie ? 

En 2018, l’ancien gouvernement danois et les partis qui le soutenaient ont réduit de 20 % le budget de DR. En conséquence, nous avons pris la décision d’élaborer une nouvelle stratégie, de définir clairement nos ambitions et de motiver le personnel face à l’avenir.

Lorsque la pandémie s’est déclarée, DR était donc déjà passée par un processus long et exigeant de forte réduction des coûts et de mise en œuvre d’une nouvelle stratégie. Nous étions ainsi préparé.e.s à cette nouvelle forme de crise et à prendre des décisions difficiles, mais nécessaires.

Le fait que nous ayons élaboré une nouvelle stratégie claire et précise nous a aidé.e.s à faire des choix et à établir des priorités pendant la pandémie. Lors d’une crise comme celle que nous avions vécue à cause des réductions budgétaires, on apprend déterminer ce qui est nécessaire et utile pour mieux cibler ses efforts. Les priorités deviennent plus claires.

Comment la pandémie a-t-elle touché la société danoise ?

Les changements ont été nombreux, mais je voudrais en signaler deux qui comptent particulièrement pour nous en tant que média de service public (MSP).

D’abord, le rôle extrêmement important que les MSP jouent dans la société danoise est aujourd’hui plus évident qu’il ne l’était il y a encore quelques années. Tous les Danois et toutes les Danoises comprennent aujourd’hui pleinement l’importance que revêtent des informations fiables. Et lors d’une crise telle que cette pandémie, il est certain que tout le monde se tourne vers les MSP pour obtenir des informations dignes de confiance. Il est clair également que la demande augmente : lorsqu’on est confiné.e, isolé.e chez soi, on a besoin d’autres contenus pour se motiver. Dans la culture danoise, il est traditionnel de chanter lors des grandes réunions, des fêtes de Noël, des mariages, des anniversaires, etc. Nous avons donc rapidement créé un programme appelé Community Song, diffusé le vendredi soir aux heures de grande écoute. Aujourd’hui, beaucoup de Danois.e.s chantent simultanément le vendredi soir pour se sentir ensemble, bien qu’ils soient séparé.e.s. Ce programme symbolise aujourd’hui le sentiment fédérateur que les MSP ont su créer.

La deuxième tendance que je mettrais en avant est l’accélération de la transformation numérique. Même si le Danemark est déjà l’une des sociétés les plus numériques du monde, la pandémie a encore accentué cette tendance. Aujourd’hui, le secteur public danois est entièrement numérique. Tou.te.s les élèves et étudiant.e.s de l’enseignement public, quel que soit leur âge, ont reçu un enseignement virtuel. Nous constatons aussi que les médias passent eux-mêmes rapidement au numérique. Même si cette technologie est un véritable défi, il est très important de saisir cette occasion et de faire l’effort de s’adapter.

Quels ont été les effets de la pandémie sur DR ?

Je me souviens très bien de la soirée, au début de mars dernier, où notre première ministre a donné une conférence de presse à la télévision pour annoncer que d’ici les 30 prochaines heures, le pays serait confiné. Immédiatement après, l’équipe de direction de DR a tenu une réunion de crise extraordinaire. Nous avons pris de nombreuses décisions difficiles dans un délai très court et nous avons continué de discuter régulièrement dans les semaines suivantes, pour déterminer qui pouvait travailler depuis son domicile, qui devait se déplacer jusqu’aux studios, et quelles productions devaient être prioritaires.

Le lendemain du discours de la première ministre, nous avons demandé à tou.te.s nos employé.e.s de venir prendre, au siège de DR, le matériel dont ils.elles auraient besoin pour produire, monter et publier leurs sujets depuis leur domicile. Nous avons beaucoup appris et aussi découvert une nouvelle façon de travailler et de publier nos contenus. Je dirais que notre personnel a su parfaitement s’adapter. Dans le passé, nous avions déjà travaillé sous une forte pression et avions mis en place de nombreuses réformes. Notre personnel sait donc réagir au changement, ce qui est très motivant.

Comment la crise sanitaire et les restrictions budgétaires ont-elles influé sur la prise de décisions et la définition des priorités ?

Nous sommes « entraîné.e.s » à faire face à une crise. Lorsque nous devons effectuer un changement, nous essayons de transformer cette obligation en avantage stratégique. On ne peut pas être continuellement en crise et discuter uniquement de réductions budgétaires, de suppressions de programmes et de départs de membres du personnel. Il faut faire évoluer la situation. Dans notre plan de réduction des coûts et de développement, nous avons décidé de retirer un plus grand nombre d’offres linéaires que nécessaire, pour pouvoir allouer des ressources à la transformation numérique.

Je me suis souvent demandé si nous n’en faisions pas trop à la fois. Aujourd’hui, je dirais qu’on n’en fait jamais trop, au contraire. C’est là un point important que j’ai retenu : il faut essayer de tirer parti de toute situation en pensant à l’avenir.

À votre avis, quelles ont été les principales mesures prises par DR qui ont conduit le gouvernement danois à annuler une nouvelle série de réductions budgétaires en décembre dernier ?

Si j’ai appris qu’il fallait envisager les crises comme des opportunités stratégiques, j’ai aussi compris que les débats sur le montant de nos budgets sont politiques, en tout cas au Danemark. Ils n’ont rien à voir avec la qualité de nos programmes, ni avec notre capacité à transformer et à adapter notre offre aux nouveaux usages des médias numériques, ni avec notre gestion. Ils sont éminemment politiques. Il était important que le dire à notre personnel, car la décision du gouvernement n’avait rien à voir avec son travail. Au milieu de la polémique, je me devais de sauvegarder sa dignité. D’ailleurs, dès l’annonce de notre programme de réduction des coûts et de notre plan de développement, DR est passée à l’attaque : nos collaborateurs et collaboratrices ressentaient une grande fierté envers nos contenus, ne se laissaient plus décontenancer par les rumeurs politiques et reprenaient confiance et courage. Toutes et tous ont montré ce qu’était un MSP et les débats autour du budget de DR ont cessé.

Notre explication claire sur les conséquences qu’auraient de nouvelles réductions a également été décisive. L’association de cette communication efficace et d’une prise de conscience de la population face à la pandémie a mis en évidence le rôle de DR dans la société danoise. À un moment donné, j’ai vu qu’il n’était plus nécessaire de discuter, car tout le monde avait compris ce qu’était un MSP. Les Danois et Danoises le comprennent toujours aujourd’hui et, j’en suis sûre, continueront de le comprendre aussi à l’avenir. Ce constat est bien plus fort que tous les arguments ! De ce point de vue, la pandémie a tourné à notre avantage.

La dernière loi de finances danoise assure plus de stabilité à DR. De nouvelles négociations devraient maintenant clarifier le paysage médiatique. Dans ce contexte de crise, quel est le plus grand défi à relever, selon vous ?

Pour DR, le plus grand défi ne vient pas de la pandémie, mais des géants du numérique. Leur rôle et leur pouvoir, leur capacité de savoir qui a accès aux contenus danois, qui fait partie de telle ou telle communauté et comment les personnes sont entraînées dans des caisses de résonance médiatiques : tel est le défi le plus important auquel notre organisme est confronté. À mon sens, il est très important que nous prenions toutes et tous conscience de la nécessité de réglementer les géants du numérique.

Je pense que l’assaut du Capitole a mis en évidence ce que nous souhaitons à tout prix éviter. Nous ne voulons pas d’une situation où des entreprises technologiques étrangères privées contrôlent nos démocraties, car c’est ce qui arrivera si nous ne faisons rien. La réglementation en discussion au niveau européen revêt à cet égard une importance primordiale et nous devons aussi travailler au niveau national, en insistant sur les risques et les défis, et en dialoguant avec les responsables politiques pour porter leur attention sur les grandes entreprises technologiques. Heureusement, DR entretient de bonnes relations avec d’autres médias au Danemark, avec lesquels elle peut fixer un programme commun : ce sera le chantier le plus important des prochaines années.

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Contact


Marie-Soleil Levery

Responsable Données Membres et Relations Nordiques

levery@ebu.ch