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Disposer de médias impartiaux est nécessaire si l’on veut éviter les réalités parallèles

26 novembre 2020
Disposer de médias impartiaux est nécessaire si l’on veut éviter les réalités parallèles

Dans un article publié dans Expressen, Cilla Benkö, directrice générale de la Radio suédoise, et Björn Löfdahl, directeur des programmes, évoquent le débat polarisé qui a récemment marqué les États-Unis et tout particulièrement le contexte de l’élection présidentielle américaine, pour souligner l’importance de disposer de médias impartiaux.

La couverture médiatique de l’élection présidentielle américaine a mis en évidence le rôle crucial que jouent les médias d’information impartiaux, qui garantissent à la population un accès aux reportages d’actualité dont elle a besoin pour pouvoir se forger sa propre opinion. Malheureusement, les choses évoluent dans la direction opposée, engendrant le risque de créer une représentation parallèle de la réalité.

Nous sommes encore dans le sillage de cette élection. L’une des principales problématiques de ce débat porte sur le glissement qui s’est opéré concernant l’impartialité des médias. Aujourd’hui, les États-Unis sont à bien des égards un pays plus polarisé qu’il ne l’a jamais été, et ce constat vaut hélas également pour ses médias. Depuis quelques semaines, un débat prend de l’ampleur concernant la façon dont, au cours des derniers mandats présidentiels, des médias américains toujours plus politisés ont contribué à scinder encore davantage la population. Plus la société américaine se polarise, plus clairement des médias tels que Fox News, d’une part, et MSNBC, d’autre part, peuvent se positionner. En outre, dans de nombreux cas, les journaux ont nettement pris parti dans cette élection et sont accusés d’avoir fait prévaloir leurs opinions politiques sur leurs sites d’information.

Selon le rapport 2020 du Reuters Institute sur l’information en ligne, pas moins de 30 % des Américain.e.s interrogé.e.s récemment préfèrent s’informer auprès de sources en accord avec leurs propres opinions.

Le fait que les opinions sont vendeuses et que les articles et reportages prenant clairement position sont amplement diffusés sur les réseaux sociaux incite davantage de médias commerciaux à affirmer leur point de vue. Cela est d’autant plus vrai après les revers économiques que le secteur a subis ces dernières années, et qui se sont encore aggravés au cours de la pandémie. Au printemps 2020, jusqu’à 36 000 journalistes américains avaient perdu leur emploi.

Par ailleurs, le paysage médiatique américain n’est en rien comparable aux médias de service public, solides et indépendants, qui existent actuellement en Suède et dans d’autres pays : des médias qui contribuent à fournir des informations impartiales et des contenus crédibles touchant un public large, et dans lesquels s’expriment de nombreuses voix et opinions différentes. Des médias qui sont à la disposition de tout le monde, peu importent les revenus ou les origines.

Les études montrent sans ambiguïté que disposer de médias de service public solides et indépendants est salutaire pour la démocratie, car ceux-ci proposent un éventail plus large d’informations et pratiquent un journalisme d’intérêt public, tout en encourageant les citoyen.ne.s à participer davantage à la vie politique et, de façon plus générale, à la vie de la société.

En Suède, contrairement à ce que certains avancent à tort, les médias de service public bénéficient du soutien massif de la population. La radio et la télévision publiques suédoises font partie des médias les mieux classés du pays et sont restés stables tout au long des années 2000. Ce soutien s’est même encore renforcé durant la pandémie*.

Nous pouvons également affirmer que le public s’est largement tourné vers la radio suédoise pour tenter de comprendre le déroulement de l’élection présidentielle américaine, le jour même du vote et par la suite. La radio suédoise, que ce soit sur ses stations FM traditionnelles ou en ligne, a enregistré une nette augmentation de ses chiffres d’audience, celle-ci étant plus marquée chez les moins de 50 ans**. Il est difficile d’interpréter ce constat autrement que par le fait que beaucoup écoutent la radio publique afin d’obtenir une vision équilibrée de la situation.

Des signes inquiétants indiquent cependant que le marché des médias politisés gagne du terrain. De plus en plus de médias d’information s’adressent à des groupes tout à fait distincts, non seulement en raison du positionnement de leur direction, mais aussi au travers de leurs reportages, ce qui se traduit par des représentations totalement éloignées de la réalité dans un nombre croissant de pays. Au Royaume-Uni, par exemple, quantité d’indices laissent penser que deux nouvelles chaînes télévisées affichant une ligne politique claire seront inaugurées l’année prochaine, et même en Suède, des voix s’élèvent en faveur d’un paysage médiatique plus explicitement orienté sur le plan politique.

Certes, il peut y avoir de la place pour les médias qui affichent clairement leur objectif et la tendance politique dans laquelle ils inscrivent leur travail, mais l’émergence de ce type d’offre ne doit en aucun cas se faire au détriment d’une couverture d’information solide et impartiale réalisée par des organismes dont les sites d’information ne sont pas influencés par d’autres projets. Il serait profondément désolant que les choses en arrivent là en Suède.

Il est probable que très peu de gens souhaitent que la prochaine campagne électorale soit couverte de la même façon que l’élection présidentielle américaine.

En Suède, nous devons insister sur l’idée qu’il est dans l’intérêt des citoyen.ne.s et de notre société démocratique d’entendre parler d’une réalité commune, dans des médias d’information que toutes et tous partagent, où l’on entend et communique les opinions d’autrui, même si l’on est en désaccord. En Suède, pouvoir se forger nos opinions sur la réalité et sur ce que nous attendons de l’avenir doit impérativement rester un droit.

En Suède, l’existence de médias solides, ouverts, indépendants et impartiaux doit être un principe aussi naturel que le principe qui veut que le journalisme ne consiste pas à dire aux gens que penser.

* La confiance envers la radio publique suédoise a augmenté durant la pandémie.
** Forte hausse de l’écoute pendant l’élection présidentielle américaine.

Liens et documents pertinents

Ecrit par


Cilla Benkö Lamborn

Directrice générale