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Coronavirus et médias de service public : Pourquoi la transformation numérique est plus importante que jamais

31 mars 2020
Coronavirus et médias de service public : Pourquoi la transformation numérique est plus importante que jamais

Une citation me sert souvent pour parler de l’urgence de la transformation numérique. Elle n’est pas d’un professeur de la Harvard Business School, d’un gourou de la Silicon Valley ou d’un philosophe grec, mais d’un boxeur : Mike Tyson. La voici :

« On avait tout prévu… sauf le coup de poing dans la figure. »

Jusqu’à aujourd’hui, nous croyions savoir ce qu’était qu’un « coup de poing ». Je parlais de l’impact des géants de la tech, de la fragmentation des contenus, de la connectivité constante, de l’instabilité politique, des crises financières et, bien sûr, de la montée en puissance des technologies numériques. Je disais toujours : « le plus important, c’est la transformation numérique ». Et l’année 2020 est arrivée.

Au temps du coronavirus, qui voit des millions de personnes se réfugier dans le monde en ligne pour s’informer, se divertir, s’instruire, communiquer et télétravailler, la transformation numérique n’est plus importante, elle est devenue vitale.

Pour les médias de service public (MSP), la capacité à déployer rapidement des outils et des processus fonctionnels pour communiquer à distance avec leurs publics et leur personnel, de manière à la fois efficace et rapide, fera probablement la différence entre le succès et l’échec dans ce nouveau cadre qui est devenu la norme. Heureusement, par la nature même de notre activité, nous sommes extrêmement bien placés pour nous adapter à cette situation. Le public, les responsables politiques, le système de santé, les établissements d’enseignement, tous ont urgemment besoin des MSP, au sens propre du terme.

Les Membres de l’UER ont réagi de manière remarquable ; de nombreux secteurs ne s’en sortent pas aussi bien. Il est important, encourageant et motivant de constater que les personnels des MSP ont été classés, à juste titre, parmi les « travailleurs essentiels » qui contribuent à faire vivre la société dans ces moments difficiles.

Autre aspect important des événements récents que nous pouvons observer sans pour autant nous en réjouir : une demande insatiable de contenus. Là encore, les MSP sont particulièrement bien placés pour y répondre, car ils privilégient l’information fiable, l’analyse éclairée, les contenus éducatifs et les divertissements de qualité.

Mais le défi de la transformation numérique est immense et nos organismes doivent le relever. Et si les Membres de l’UER sont extrêmement divers par définition, aucun ne part de zéro. Certains possèdent une maturité numérique enviable, d’autres en sont à leurs débuts. Tous, en tout cas, reconnaissent l’ampleur de l’entreprise et admettent qu’il leur reste un long chemin à parcourir.

Avant la crise, la plupart des organisations avaient parfaitement compris que la transformation numérique était essentielle, mais elles prenaient leur temps pour la mettre en œuvre, compte tenu de sa complexité, de son ampleur, de son coût ou des bouleversements qu’elle allait inévitablement entraîner. Les Membres qui avaient adopté cette approche mesurée n’en souffraient pas nécessairement. Ils s’attachaient à avancer pas à pas, à s’adapter progressivement ou même à prendre une légère avance, en apprenant des autres et en réduisant les perturbations internes au minimum. Dans certains cas, ils avaient reporté des décisions difficiles, même lorsqu’elles étaient inévitables, voire essentielles.

Cette approche est, dans l’ensemble, compréhensible et justifiée. Elle convient à de nombreuses organisations, lorsqu’un changement radical serait trop déstabilisant, que les moyens sont limités et que les conditions sont contraignantes. Commencer petit et penser grand est un bon principe en matière de transformation numérique. Lorsqu’une organisation a déjà vu ses efforts couronnés de succès, elle est bien mieux armée pour entreprendre une transformation de grande envergure. Si elle doit prendre des mesures difficiles, sa direction pourra justifier de leur efficacité et de leur intérêt. Les MSP ont des contraintes liées à leur histoire, qui les empêchent notamment d’opérer une mutation brutale ; un changement progressif est donc une approche plus réaliste et plus pragmatique. Si une organisation trouve le moyen de se construire et de se transformer de manière continue à différents niveaux, elle aura plus de chances de réussir dans sa globalité et pourra probablement investir beaucoup plus judicieusement que si elle avait dû mener de front une transformation totale.

Malheureusement, la pandémie de coronavirus ne nous a pas laissé le choix. À l’UER, nous avions entrepris de déployer très progressivement des outils numériques collaboratifs. Ce déploiement suivait son cours, mais se trouvait à différents états d’avancement. Le changement s’opérait en dents de scie. Aujourd’hui, il s’est soudainement imposé à nous. À ce propos, je serais curieux de connaître le nombre de nos courriels internes, car je suis certain qu’il a brutalement chuté depuis que nous communiquons par chat sur Microsoft Teams et d’autres outils plus rapides et plus informels. Plus important encore, je suis convaincu que ces nouvelles habitudes vont jeter les bases de nos méthodes de travail et de communication de demain.

Pour les MSP, la transformation a dû s’accélérer brutalement. Le premier impact a été ressenti en interne : certains aspects, comme les outils de télétravail, ont dû se développer à toute vitesse. Sur le long terme, nous pouvons espérer une réduction des coûts grâce au remplacement de nombreuses réunions physiques inutiles par de brefs échanges numériques. Avec l’expérience, nous aurons toutes et tous l’occasion de réfléchir au télétravail et à l’utilisation de nos bureaux et de nos équipements. J’ai deux remarques à ce propos. Premièrement, enregistrez vos statistiques dès maintenant pour avoir des données sur lesquelles vous pourrez fonder vos décisions plus tard. Deuxièmement, si le télétravail convient très bien à la plupart d’entre nous, c’est aussi l’occasion pour celles et ceux qui, au contraire, ont du mal à s’y faire, de mieux adapter leur espace et leurs méthodes de travail. Nous serons aussi amené.e.s, j’en suis certain, à considérer les déplacements professionnels sous un autre angle.

La crise accélère aussi la transformation de l’offre numérique des MSP, puisque le public se tourne vers l’Internet pour obtenir des informations rapides et fiables, des contenus éducatifs et, bien sûr, des divertissements qui lui permettent de s’extraire du quotidien. Les équipes numériques travaillent d’arrache-pied pour satisfaire un public dont les besoins et les attentes sont en constante évolution. Cette crise est paradoxalement l’occasion de renforcer les équipes de développement, les capacités en matière de données et d’intelligence artificielle, l’automatisation des processus, la production multimédia et, évidemment, l’offre en ligne. Ces changements perdureront après la crise, ce qui ne peut être que bénéfique sur le long terme.

Ces bouleversements à marche forcée auront aussi inévitablement des effets négatifs. Nous devrons consentir les dépenses nécessaires, à défaut d’être souhaitées. Lorsque les choses se seront calmées, nous constaterons des répercussions en aval, dans des domaines tels que l’intégration des systèmes. Certaines mesures de toute évidence régressives, comme le cloisonnement des salles de rédaction et la séparation des équipes pour éviter les risques de contagion, sont plus inquiétantes. Elles sont certes parfaitement compréhensibles, mais douloureuses. Et puisque nous limitons nos activités à celles qui sont essentielles pour servir le public dans ces moments particulièrement difficiles, les laboratoires d’innovation, les outils créatifs et les projets expérimentaux passeront tous au second plan pendant quelque temps. Il convient qu’il en soit ainsi pour l’instant.

Mais nous ne devons pas laisser ces mesures à court terme avoir des effets négatifs à long terme. Face à la crise, vient la réaction, puis la gestion et enfin le retour à la normale, quelle que soit l’issue des événements. Nous sommes dans le feu de l’action, mais il est essentiel d’envisager dès maintenant la manière de tirer pleinement parti des effets positifs de la situation et de réduire au minimum les conséquences négatives des mesures adoptées.

Si vous m’avez suivi jusqu’ici, je voudrais vous inviter à alimenter le débat. La communauté de l’UER s’attache à recenser les bonnes pratiques pour gérer cette crise et l’Initiative sur la transformation numérique aimerait commencer à planifier notre retour. J’aimerais commencer simplement par recueillir vos réflexions et opinions sur les enseignements tirés en matière de transformation de nos organismes. Je vous saurais gré de me les transmettre directement à l’adresse scotts@ebu.ch. Il s’agira ensuite de rassembler ces idées au sein d’un débat et de les diffuser largement sous la forme la plus adaptée à la situation.

Ces circonstances sont particulièrement éprouvantes, mais nous devons toutes et tous nous y adapter. Il nous reste une certitude : l’échec de la transformation numérique a un coût qui a soudainement augmenté de manière exponentielle. Mais je suis convaincu que nous possédons les connaissances, la volonté et les moyens collectifs de sortir de cette crise plus forts que jamais.

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Ecrit par


Dr Sasha Scott

Analyste sénior, Transformation numérique

scotts@ebu.ch

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