Retour à Histoires
HISTOIRES

La démocratie à l'ère d'Internet

07 octobre 2019
La démocratie à l'ère d'Internet

Une menace plane sur la démocratie, dans toute l'Europe. 

Dans le monde polarisé que nous connaissons, la défiance croissante à l'égard des institutions et la propagation insidieuse de la désinformation et des discours de haine encouragent la montée des extrémismes. 

L'essor rapide de plateformes mondiales non réglementées constitue un terreau fertile pour la diffusion de messages qui manipulent, induisent en erreur et vont jusqu'à influencer le cours d'élections. 

En tant que dirigeants des plus grands organismes européens de médias de service public, nous sommes convaincus que ce constat n'est toutefois pas une fatalité. 

Les médias de service public européens investissent chaque année plus de 18 milliards d'euros en contenus, dont l'immense majorité est d'origine nationale ou européenne. Nos travaux de recherche ont montré à maintes reprises combien des médias de service public dynamiques sont essentiels aux démocraties en bonne santé. Nous devons donc les protéger et assurer leur développement dans l'environnement en ligne. 

La nouvelle présidente de la Commission européenne a exprimé le souhait de créer une Europe "adaptée à l'ère du numérique". Ursula Von der Leyen est en effet convaincue que l'Europe peut y parvenir, "si elle s'appuie sur ses forces et ses valeurs". 

Sur un continent aux cultures diverses et aux opinions politiques divergentes, il est facile de perdre de vue certaines valeurs communes à nos démocraties européennes, telles que la liberté d'expression et l'existence de médias ouverts. 

Aujourd'hui, ce sont ces valeurs mêmes qui sont remises en cause. Depuis la fin de la censure étatique en Europe, le pluralisme des médias n'a jamais été aussi fragilisé. Mais dans le monde actuel, les algorithmes ont remplacé les appareils d'État. 

Les grandes plateformes en ligne ont profondément changé la manière dont nos concitoyens accèdent au contenu. Elles bouleversent aussi les modalités de distribution, d'attribution et de rémunération des contenus audiovisuels européens. Les responsables européens doivent donc de toute urgence montrer la voie à suivre dans un paysage en constante évolution, afin de défendre nos valeurs et de renforcer l'autonomie de nos concitoyens. 

Les perturbations qui secouent le secteur des médias ne sont pas une mauvaise chose en soi. L'innovation s'en trouve stimulée et de nouvelles perspectives s'ouvrent aux créateurs et au public. La difficulté, cependant, réside dans le fait que de nombreuses plateformes sont passées du statut de distributeurs à celui de contrôleurs d'accès. Ceux-ci, qui possèdent une force de frappe considérable, imposent leurs propres critères en matière de référencement, de visibilité et de disponibilité des contenus de tiers. Le contenu des médias de service public est plus difficile à trouver et à identifier en ligne, et en fin de compte, ce sont les consommateurs qui en paient le prix, ne pouvant plus accéder aux contenus qu'ils apprécient et jugent dignes de confiance. 

Mais quelle importance ? Et quel rapport avec les valeurs européennes ? 

Les médias de service public s'inscrivent au cœur du tissu social, culturel et démocratique de l’Europe. Ils publient leurs contenus sous leurs seule responsabilité éditoriale. Leur fonctionnement obéit à un cadre réglementaire strict, tant national qu'européen. Les opérateurs de plateforme n'assument quant à eux qu'une responsabilité limitée sur le contenu qu'ils mettent à disposition, malgré l'influence négative qu'ils peuvent exercer sur l'opinion publique. Et ce n'est que l’un des nombreux déséquilibres qui doit être corrigé. 

Il est absolument essentiel de s'attaquer à la propagation des fausses nouvelles et à la désinformation. Mais nous ne devons pas seulement permettre à nos concitoyens d’accéder à une pluralité d'opinions. Pour asseoir la souveraineté numérique de l'Europe, nous devons instaurer un environnement en ligne équitable et transparent en faisant fond sur le RGPD, qui a fait ses preuves. 

Pour que le public puisse facilement trouver l'information qu'il recherche et accéder à des programmes de qualité et dignes de confiance, la réglementation doit garantir une visibilité appropriée au contenu à valeur publique, sur toutes les grandes plateformes. En donnant la possibilité au public d'attribuer un contenu à une marque et de remonter à la source de ce contenu, nous commencerons à enrayer le déclin de la confiance à l'égard des médias. 

Il est urgent de légiférer pour obliger les grandes plateformes à garantir l’accès aux données qu'elles collectent. Celles-ci permettent en effet à nos organismes de médias de service public d'adapter leur contenu pour mieux répondre aux attentes de leur public, conformément à la réglementation en matière de protection des données. L'on mettrait ainsi un terme à la situation actuelle, dans laquelle nous mettons nos contenus à disposition sur les grandes plateformes qui tirent ensuite pleinement parti des données connexes, tout en refusant de les partager. 

Mme von der Leyen a raison lorsqu'elle déclare qu'il faut saisir "les possibilités offertes par l’ère du numérique, au sein d’un cadre garant de la sécurité et de l’éthique". Trouver le juste équilibre est l'un des défis les plus pressants auxquels la présidente et la Commission seront confrontées dans les années à venir. Si l’Europe s'organise rapidement, elle peut s'imposer comme un leader mondial dans l'espace numérique, tout en préservant sa souveraineté numérique et, au bout du compte, en protégeant les démocraties européennes. Si, en revanche, elle agit trop lentement, elle risque de ne pas pouvoir reconquérir le terrain déjà concédé. 

Tony Hall, Directeur général de la BBC et Président de l'UER 

Delphine Ernotte Cunci, Présidente-Directrice générale de France Télévisions et Vice-présidente de l'UER 

Ulrich Wilhelm, Directeur général de la Bayerischer Rundfunk et Président de l'ARD 

Thomas Bellut, Directeur général de la ZDF 

Marcello Foa, Président de la RAI 

Rosa María Mateo, Présidente de la RTVE 

Noel Curran, Directeur général de l'UER

Liens et documents pertinents

Contact


Michelle Roverelli

Directrice des Relations avec les Membres et de la Communication

roverelli@ebu.ch