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DISCOURS

5G, défis et opportunités

03 octobre 2019
5G, défis et opportunités

Allocution prononcée par Jean Philip De Tender, Directeur Médias de l'UER, à la conférence Media2020, Bucarest, 2019

Permettez-moi tout d'abord de me présenter : je suis Jean Philip De Tender, Directeur Médias à l'Union Européenne de Radio-Télévision. Je vous remercie vivement de m'avoir invité à prendre la parole aujourd'hui.

Féru de lecture, j'ai profité de la pause estivale pour lire "Hit Refresh", de Satya Nadella, qui s'intéresse à l'avenir de la technologie. M. Nadella est le PDG de Microsoft ; dans le cadre de ses responsabilités professionnelles, il cherche à engranger des bénéfices, mais il est frappant de constater qu'il prend également ses décisions à la lumière de l'impact positif que celles-ci sont susceptibles d'avoir sur la société. Cette situation vous est-elle familière ?

Voici en effet ce qu'il affirme : "Les technologies ne cessent d'évoluer, aussi devez-vous être en mesure non seulement de vous poser la question suivante, mais aussi d'y répondre : quelle est la raison d'être de votre entreprise ?"

Je nourris pour ma part l'ambition d'évaluer l'impact que la 5G est susceptible d'avoir sur les radiodiffuseurs de service public, ainsi que sur la société. Il est en effet important, à l'heure actuelle, d'y réfléchir. Si l’on en croit un proverbe, l'évolution technologique est trop importante pour que seuls les ingénieurs s'en préoccupent. C'est vrai aussi pour la 5G. 

Qu'est-ce que la 5G ?

La 5G fait partie des technologies dites "transformatives", à tout le moins dans les écoles de management. L'intelligence artificielle, le "nuage" et l'internet des objets figurent parmi les autres technologies de ce type, qui sont réputées façonner aujourd'hui le monde de demain. 

Pour parler en termes simples, la 5G désigne une série d'outils qui devraient rendre l'internet à haute vitesse accessible grâce à la technologie sans fil, et non plus par le biais de câbles et de lignes téléphoniques.  

Sa promesse ? Augmenter considérablement le débit maximal du Net pour les appareils portatifs, tout en faisant diminuer proportionnellement les coûts de réseau.

La 5G peut être conjuguée aux autres technologies "transformatives" de bien des manières, pour contribuer à améliorer le monde dans lequel nous vivons.

On espère qu'elle pourra être lancée d'ici 10 ans et que les normes techniques qui y sont associées pourront bientôt être parachevées.

Elle pourrait être mise à profit tout particulièrement pour distribuer des contenus médiatiques. 

Nous devons cependant faire preuve de prudence et ne pas avoir d'attentes démesurées à cet égard. La dure réalité économique et les exigences élevées des utilisateurs peuvent en effet parfois décevoir les ambitions nourries dans les laboratoires, par exemple.

Si les technologies médiatiques portent leurs fruits, ce n'est pas seulement parce qu'elles reposent sur des concepts probants : c'est aussi parce qu'elles sont abordables et faciles à utiliser, et qu'elles répondent aux souhaits des usagers. Or, on ignore encore quel pourra être l'impact de la 5G à ces niveaux, même s'il est probable que celle-ci se concrétise au cours des années à venir. Les radiodiffuseurs de service public doivent en tout état de cause s'en préoccuper sérieusement dès à présent.

Quel peut être l'impact global de la 5G sur la société ?

D'une manière générale, les idées sont nombreuses quant aux utilisations qui peuvent être faites de l'internet sans fil à très haut débit et à faible coût, qui garantira un accès toujours plus rapide au Net sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à des câbles ou au Wifi, comme c'est le cas actuellement. C'est là son atout principal. Un émetteur 5G suffit en effet pour y accéder, en tout lieu.   

L'une des idées les plus révolutionnaires dans ce domaine consiste à combiner certaines technologies transformatives dans les "véhicules autonomes" : la voiture peut ainsi "parler" aux autres voitures et aux camions qui se trouvent à proximité sans que l'usager ne s'en rende compte, tout en recevant des informations sur l'état des routes. On pourrait aller jusqu'à imaginer que les passagers consacrent leur temps de trajet à suivre la télévision, et non plus à regarder la route. Qui sait ?

Une autre idée serait d'utiliser la 5G pour informer votre médecin traitant des périodes où vous vous sentez en pleine forme ou, à l'inverse, des moments où vous sentez que quelque chose ne tourne pas rond.  

S'ils deviennent capables de distribuer des contenus toujours plus élaborés, les réseaux sociaux, déjà très prisés à l'heure actuelle, seront à n'en pas douter encore plus largement utilisés et la 5G que fera qu'accroître leur impact. Les réseaux sociaux amplifient-ils la polarisation des opinions ? Créent-ils des divisions dans la société ? Je n'ai pas de réponse définitive à ces interrogations, mais dans l'affirmative, ces phénomènes pourraient de toute évidence s'accentuer et la fracture entre ceux qui sont informés et ceux qui ne le sont pas pourrait bien se creuser, à l'instar du fossé qui sépare déjà les personnes éduquées aux médias de celles qui en maîtrisent peu ou pas l'utilisation.

La 5G et les autres technologies transformatives risquent aussi d'asseoir l'hégémonie des technologies médiatiques sur le monde, si par exemple le matériel est entièrement fabriqué à Shenzhen, en Chine, et que les logiciels sont tous conçus dans la Silicon Valley.

Du point de vue sociétal, la 5G s'accompagne donc de toute une série de risques et d'opportunités que nous devons confronter, n'ayant aucun moyen de mettre l'évolution technologique "en suspens" selon notre bon vouloir. 

Quel en sera l'incidence sur la sphère médiatique ?

La distribution des médias aux consommateurs se fait aujourd'hui de trois manières différentes : par radio- ou télédiffusion, par le biais d'Internet ou au moyen d'une combinaison de ces deux technologies, associant radiodiffusion et haut débit. Les radiodiffuseurs utilisent ces trois méthodes, chacune d'elles présentant ses propres avantages et caractéristiques. Netflix par exemple, qui fait partie de la nouvelle génération de fournisseurs de services OTT, ne se sert que du Net.  

Il existe une différence fondamentale entre radiodiffusion et internet.  

La radiodiffusion consiste essentiellement à disséminer des contenus médiatiques depuis un pylône de télévision, quiconque se trouvant à proximité pouvant capter le signal émis, sans que le nombre d'utilisateurs potentiels ne soit limité. Ceux-ci reçoivent tous la même image et le même son, en provenance de l'émetteur. Le fournisseur de contenus n'a aucun moyen de savoir qui utilise ou regarde ses contenus.  Les utilisateurs accèdent donc à ces contenus en conservant leur anonymat et en protégeant leur vie privée.   

Axée sur des contenus "non ciblés", la radiodiffusion exige de réaliser des études d'audience pour savoir si les contenus réussissent à toucher le public. 

La distribution par Internet est habituellement différente, dans la mesure où un utilisateur demande à regarder un contenu et, dans cette optique, communique son adresse électronique au fournisseur, qui lui envoie alors le contenu souhaité.

Dans la mesure où il a besoin de savoir à qui transmettre ses contenus, le fournisseur sait exactement qui les regarde. Il est sans doute possible de tromper le système, mais la plupart du temps, c'est ce qui se produit. Le fournisseur de contenus peut même désormais collecter des "données massives "(big data) auprès de ses utilisateurs, et en tirer parti pour adapter son offre. Internet repose en somme sur des contenus "ciblés"

Ces deux modes de distribution présentent chacun des avantages.  

La radiodiffusion est en effet facilement accessible et procure des bienfaits aux utilisateurs dont elle protège la vie privée. De même, elle n'exclut pas ceux qui ne possèdent pas de connexion internet. Autre avantage de la radiodiffusion : sa fiabilité en cas d'urgence nationale, internet n'étant souvent plus alors en mesure de fonctionner. La transmission suit son cours, ce qui fait d'elle le seul moyen d'informer le public.  La radiodiffusion doit être considérée comme un bien national d'une grande valeur, qui doit être préservé. 

Le contenu ciblé (c.-à-d. distribué par internet) peut fournir un service personnalisé et, ce faisant, donner la possibilité de regarder des contenus à tout moment. Le fournisseur de contenus sait ce que vous regardez, et à quel moment vous le regardez. Il peut aussi savoir le type de contenus que vous aimez regarder, ce qui permet au système de vous conseiller des contenus susceptibles de vous plaire. Il peut également, à tout le moins en théorie, vous proposer un immense éventail de contenus.   

Un autre élément important est la nécessité de bien différencier les deux types de flux de contenus. 

On doit en effet distinguer le contenu "linéaire", diffusé dans le cadre d'une grille de programmes sur laquelle l'utilisateur n'a pas de prise, du contenu "non linéaire", que chacun peut regarder au moment qui lui convient.  

La 5G peut faire vivre une expérience plus immersive

La 5G recèle un potentiel extraordinaire. Elle pourrait notamment intéresser les consommateurs par sa capacité à accroître la qualité sonore et visuelle des contenus qu'ils regardent.

Certaines normes actuelles en matière d'image et de son permettront au public de vivre une expérience toujours plus réelle, ou plus "immersive", pour utiliser le jargon d'aujourd'hui. À l'heure actuelle, les images de TVHD ont une résolution d'un à deux millions de pixels.  Les images de la télévision à ultra-haute définition de première génération avaient une résolution de 8 millions de pixels, celle de la TVUHD de seconde génération sera de 32 millions de pixels.  

En matière de qualité sonore, certaines normes peuvent être utilisées pour donner l'impression aux auditeurs qu'ils sont littéralement entourés de sons, comme dans la vraie vie. C'est ce que l'on appelle l'"audio de prochaine génération". 

Sur le plan technique, la distribution par 5G devrait faciliter ces améliorations du son et de l'image, ce qui plaide en faveur de son déploiement rapide.   

La 5G pourrait également faciliter la distribution de la réalité virtuelle, même si certains estiment que celle-ci suscite des attentes démesurées. 

Fournir des contenus exploités dans des services 5G

Les programmes de service public que nous diffusons actuellement répondent à plusieurs objectifs, au premier rang desquels figure la nécessité de nourrir la cohésion sociale en proposant aux téléspectateurs, auditeurs et internautes de "vivre une expérience partagée".

Nos programmes sont aussi, dans une certaine mesure, les gardiens de nos identités nationales et le reflet de nos langues et de nos traditions artistiques nationales. Ils ont vocation à fournir un "service universel", qui tienne compte de toutes les couches de la population. Ce sont généralement des services essentiellement nationaux ou régionaux.  

Les services Internet peuvent être distribués depuis les quatre coins de la planète et, malgré certaines exceptions, ils présentent souvent une dimension internationale, faisant fond sur des contenus considérés comme fortement attrayants au niveau mondial.

Il n'y a rien à redire à cela, bien que l'on puisse tout de même se demander si un monde regorgeant de contenus audiovisuels à à vocation internationale laissera à nos enfants un héritage aussi riche et diversifié que des programmes reflétant différentes cultures locales et nationales. 

Il est tout aussi vrai, qu'on le veuille ou non, que les idées, les applications et le contenu internet proviennent de la côte ouest des États-Unis, qui abrite aussi le siège de géants du Net comme Google, Facebook et YouTube, pour ne citer qu'eux. Cette situation est-elle vraiment saine ? Ne risque-t-elle pas de se traduire à terme par une forme d'impérialisme médiatique ?   

L'avènement de la 5G permet d'accéder toujours plus facilement à un internet "international", à moindre coût, avec le risque de voir les radiodiffuseurs nationaux éclipsés par les grandes entreprises américaines. Nous devons nous en préoccuper.  

Les radiodiffuseurs de service public ont un rôle à jouer

Une grande incertitude continue à entourer la 5G. Les dépenses qu'elle engendre justifieront-elles son adoption par les consommateurs et les fournisseurs ? Les coûts du réseau pourraient baisser, mais les dépenses liées aux terminaux pourraient en revanche prendre l'ascenseur. Faire de la 5G une technologie abordable et exploitable ne sera donc pas chose aisée.  

De la même manière, la demande de données mobiles ne cesse d'augmenter, et le trafic mobile continue à croître.

Nous devons prendre la 5G au sérieux, compte tenu de sa capacité à fournir au public des contenus dont il semble de plus en plus friand. À terme, cette technologie pourrait bien devenir l'un des supports de distribution les plus prisés. 

Le cas échéant, à quel stade les radiodiffuseurs de service public devraient-ils prendre le train en marche ?   

Les Membres de l'UER peuvent avoir différentes réponses à cette question, mais de l'avis général, si la montée en puissance de la 5G se confirme, les radiodiffuseurs de service public doivent être capables de saisir les opportunités qui y sont liées. 

Notre mission consiste à fournir un système universel à toutes les couches de la population, et si une part importante de la population utilise des terminaux 5G, c'est par ce biais que nous devons mettre nos contenus à sa disposition. 

En résumé, nous sommes convaincus que les radiodiffuseurs de service public doivent être présents sur toutes les grandes plateformes de distribution. 

Cela a déjà été le cas par le passé avec le satellite, le câble, la TV sur IP et l'internet classique. Il faut que nos contenus soient disponibles partout où notre public pourra facilement les trouver.

À l'instar des collègues de mon département et de ceux du Département Technologie & Innovation de l'UER, je suis convaincu que nous devons nous efforcer d'influencer les normes techniques de la 5G, pour veiller non seulement à ce que celle-ci serve à distribuer des services vidéo internet à la demande, pour lesquels les usagers sont prêts à mettre la main à la poche, mais aussi pour qu'un mode "diffusion en 5G" puisse être enclenché et offre à ces utilisateurs des services en accès libre.

En d'autres termes, il devrait être possible de recevoir des services 5G en accès libre sur n'importe quel appareil 5G, sans qu'une carte SIM spécifique ne soit nécessaire.

Les usagers pourraient ainsi profiter d'une connexion à haut débit pour les services internet traditionnels et pour les services de diffusion linéaire et non linéaire, sur le même terminal mobile.  Nous pourrions ainsi regarder les chaînes de télévision en accès libre sur n'importe quel terminal, y compris un smartphone. Si nous y parvenons, la situation sera avantageuse tant pour les fournisseurs que pour les utilisateurs. 

La question qui se pose à nous aujourd'hui est de savoir si nous pourrons réussir à convaincre les organismes de normalisation, les exploitants de réseau et les fabricants d'appareils.

L'UER et certains de ses Membres ont participé à une série de tests sur l'utilisation de la 5G pour distribuer des contenus audiovisuels ; nous savons donc désormais que c'est possible, et nous mettons actuellement sur pied une alliance de sociétés qui vont œuvrer en ce sens.  

Il serait souhaitable, si vous le pouvez, de convaincre vos collègues de soutenir cette initiative. Le principal message que je souhaite vous faire passer aujourd'hui est donc simple : les radiodiffuseurs de service public doivent suivre une stratégie qui leur permette d'être présents sur toutes les grandes plateformes, ce qui implique très vraisemblablement d'exploiter des services 5G. Ce n'est cependant qu'avec votre aide que nous y parviendrons et que nous pourrons continuer à faire bénéficier nos publics des avantages liés aux services en accès libre, mais aussi des bienfaits procurés par d'autres moyens de distribution. 

Je vous remercie de votre attention. 

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