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DISCOURS

Allocution de Jean Philip De Tender à la Conférence mondiale des journalistes scientifiques

01 juillet 2019
Allocution de Jean Philip De Tender à la Conférence mondiale des journalistes scientifiques

Allocution donnée par Jean Philip De Tender à la Conférence mondiale des journalistes scientifiques organisée à Lausanne, le 1er juillet 2019

Bonne après-midi à tous,

Je m’appelle Jean Philip De Tender. Je dirige le Département Médias de l’Union Européenne de Radio-Télévision.

Noel Curran, notre Directeur général, regrette sincèrement de ne pas pouvoir être présent parmi nous aujourd’hui. Je suis heureux de le représenter, ainsi que l’UER, pour l’ouverture de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques à Lausanne.

L’UER est l’un des partenaires soutenant le consortium qui, il y a trois ans, a proposé que Lausanne et les régions transfrontalières, la France et l’Italie, accueillent la présente conférence. Nous sommes très fiers que ce souhait soit aujourd’hui concrétisé.

Ce site hébergera bientôt la Radio Télévision Suisse, qui prévoit d’y transférer ses studios de radio de Lausanne. Un déménagement qui souligne l’importance de la radiodiffusion dans le monde de l’innovation et de la recherche.

Il est encourageant de voir autant de Membres de notre Union représentés à ce congrès, où nous débattrons notamment des difficultés liés à la création et au partage d’émissions scientifiques. Nous parlerons non seulement du « comment », mais aussi du « pourquoi » cette tâche nous incombe.

La science fait partie intégrante de l’information

En tant que journaliste qui vit l’information au quotidien, tant sur le plan professionnel que personnel, je suis intimement convaincu que nous devons communiquer sur la science, le savoir et la technologie avec passion et précision. Tel doit être le principal objectif de toute salle de rédaction et de tout radiodiffuseur soucieux d’offrir un contenu de qualité.

Les émissions scientifiques ne doivent pas être négligées ou reléguées aux créneaux de nuit, uniquement accessibles aux noctambules et aux insomniaques. La science, c’est de l’info. Certains des grands enjeux de notre temps sont liés aux évolutions techniques et scientifiques, avec de réelles conséquences sur notre vie quotidienne. Mais nous devons faire preuve de créativité quant à la façon d’aborder nos sujets et au choix des plateformes qui peuvent nous permettre d’attirer le public le plus large possible.

Aujourd’hui, nous sommes ici pour étudier les moyens de toucher et d’intéresser de futurs publics sans pour autant négliger tous ceux qui nous sont fidèles depuis longtemps. De futurs publics qui très probablement, avec la prolifération des fake news et des « faits alternatifs », ne croient plus aux avis des experts. Dans le monde fragmenté qui est aujourd’hui le nôtre, le public ne sait plus très bien quelles sont les sources fiables et où les trouver.

Rôle et éthique de l’UER

Selon moi, cette confusion crée un défi dont la solution relève évidemment de la mission dévolue aux médias de service public.

La confiance revêt une importance fondamentale pour l’UER. Elle met en évidence nos valeurs et elle est primordiale pour l’information scientifique. Les médias de service public font depuis toujours œuvre de pionniers dans les domaines de la science et de la technologie. Ils ne se contentent pas d’informer des dernières avancées, ils procèdent eux-mêmes à des vérifications. Nous sommes là au cœur de la mission de service public, laquelle repose sur les principes que Lord Reith, fondateur de la BBC, énonça il y a un siècle : informer, éduquer et divertir. Nous pouvons aujourd’hui ajouter « analyser ».

Importance du journalisme scientifique

Des sujets aussi divers que le changement climatique ou les vaccins peuvent prêter à controverse. Ces questions ont des dimensions scientifiques, mais aussi politiques et sociales, en raison de leurs implications humaines. Faire en sorte qu’elles soient mieux comprises et montrer leurs répercussions sur nos vies sont autant d’exigences qui doivent être au centre de notre mission de service public.

Il arrive ainsi que l’actualité et la science se rencontrent, notamment lors d’urgences nationales et internationales, comme l’épidémie d’Ebola ou les catastrophes climatiques. C’est là que les journalistes scientifiques peuvent expliquer le contexte dans lequel un sujet fait soudainement la une des journaux. Le public entend suivre l’actualité et il attend, à juste titre, une information fiable.

Le reportage scientifique exige de nos journalistes d’examiner rigoureusement chaque affirmation et de l’expliquer. Et les sujets pouvant être abordés sont passionnants, voire même captivants et souvent novateurs. Qui n’aurait pas envie de les traiter ? Regardez ce que David Attenborough, de la BBC, a fait pour la nature et pour la science. Il présente des thèmes complexes au grand public et tout cela, aux heures de grande écoute, sans toutefois tomber dans le sensationnalisme ou la vulgarisation à tout va. C’est une nouvelle forme de télévision.

Les défis du reportage scientifique

La collaboration et l’enseignement mutuel revêtent une importance primordiale. Mais toute la difficulté consiste à produire des programmes de qualité qui ne soient pas suivis uniquement par un noyau de fidèles, mais qui sachent aussi intéresser de nouveaux téléspectateurs, plus jeunes.

Nous sommes tous conscients de l’intérêt que suscitent de nombreuses autres plateformes. Les habitudes du public ne cessent d’évoluer. Les jeunes, en particulier, entendent pouvoir accéder aux contenus qui les intéressent partout et à tout moment. Et s’ils ont un « rendez-vous télévisé », l’émission est en concurrence avec d’autres contenus accessibles sur d’autres dispositifs, au même moment.

Mais si ce phénomène peut menacer les programmes de télévision sur la science et la connaissance, il ne doit cependant pas être perçu comme un désintérêt pour les sujets scientifiques complexes, pour lesquels il existe aussi un marché.

Si nous offrons des contenus concis, visuels, attractifs, inventifs et captivants, sans faire de compromis sur la qualité, nous élargirons notre public.

Il existe d’autres questions que nous devons prendre à bras-le-corps. Comment faire preuve d’impartialité et d’intégrité, lorsque le débat est pris en otage par des groupements qui nient les faits scientifiques et décrédibilisent la recherche pour servir leurs propres intérêts ? Les fake news prolifèrent sur Internet et les réseaux sociaux. Nous avons tous pu lire des billets aux effets potentiellement dévastateurs, qui contestent le changement climatique ou l’utilité des vaccins.

La science était jusqu’à présent un terrain neutre, où un expert présentait la vérité à un public. Aujourd’hui, c’est un lieu de confrontation, où l’opinion risque de prendre le pas sur les faits. En tant que radiodiffuseurs responsables, il est de notre devoir de lutter contre ce phénomène et de rétablir l’équilibre.

Comment relever ces défis

Les médias de service public offrent des réponses à ces questions grâce à des émissions innovantes et des plateformes alternatives, qui leur permettent de toucher des publics nouveaux et variés.

Le travail formidable des Membres de l’UER

Les Membres de l’UER ont en effet conçu des programmes très novateurs, qui peuvent changer la donne.

Ainsi donc, l’utilisation de techniques d’intelligence artificielle peut donner une nouvelle dimension aux reportages. J’ai également vu des animations extrêmement créatives qui donnent un nouveau souffle à des sujets parfois austères ou complexes. J’ai aussi pu constater avec plaisir que le travail de l’ARD et de la ZDF tord le cou aux stéréotypes sur les jeunes femmes et la science. Pendant combien de temps avons-nous supposé que les femmes ne s’intéressaient à la science que sous l’angle du bien-être et de la beauté ?

Les femmes sont sous-représentées dans les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques. Les radiodiffuseurs ont un rôle à jouer pour résoudre ce problème. Un grand nombre de nos Membres font appel au pouvoir des grands modèles féminins, en choisissant de jeunes femmes pour présenter leurs émissions.

Pour créer un lien, il faut que la vie de nos publics se reflète dans nos contenus, dans des personnages qui leur ressemblent, qui leur paraissent familiers, qui par leur proximité peuvent rendre la science moins effrayante et plus accessible. Qui peuvent attirer leur attention et, par conséquent, susciter des vocations.

De toute évidence, le mode de distribution revêt lui aussi une importance primordiale. Il faut aller au-delà des concepts linéaires traditionnels et diffuser des contenus sur des plateformes et des dispositifs déjà prisés des jeunes : YouTube, réseaux sociaux, applis liées aux sites web des médias de service public, etc.

Ainsi, les radiodiffuseurs publics peuvent et doivent répondre aux attentes d’un public friand de podcasts sur des affaires criminelles, et saisir cette opportunité pour informer sur des sujets complexes connexes, comme la médecine légale ou les analyses ADN.

De même, compte tenu de la nature des réseaux sociaux, la programmation ne peut plus être unidirectionnelle. La radiodiffusion n’est pas l’avenir ! Nous devons dialoguer, en favorisant l’interaction. Et si nous ignorions ce que les jeunes veulent voir ? Parlons-leur et posons-leur la question. La Télévision suédoise est à la pointe dans ce domaine : elle engage des influenceurs comme messagers et privilégie activement le débat avec tous ses publics.

Les médias de service public ont toujours eu pour mission d’informer et d’éduquer. Exploitons l’ensemble de nos atouts, mais ajoutons-y l’écoute, à l’aide des technologies disponibles.

Aujourd’hui, nous écouterons certains de nos collègues nous parler de leurs projets. Nous découvrirons leurs nouvelles approches du reportage et nous nous intéresserons aux solutions qu’ils ont mises au point pour adapter la production à différentes plateformes sans pour autant compromettre la qualité, la recherche ou les preuves. Nous apprendrons à nous adresser à des publics qui ne regardent tout simplement pas la télévision, au sens linéaire traditionnel. L’UER apporte un appui sans réserve à ces nouvelles expériences et encourage leur développement auprès de ses Membres de toute l’Europe.

En conclusion, nous sommes ici aujourd’hui parce que ce rendez-vous est incontournable. Ces discussions sont opportunes et urgentes. Dans le climat politique actuel, les émissions scientifiques de qualité n’ont jamais été aussi nécessaires. Et plus encore pour nous, radiodiffuseurs de service public, compte tenu de la mission qui nous est conférée.

Je vous remercie.

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Jo Waters

Responsable de la communication de contenu

waters@ebu.ch